Ecole, le modèle suisse

En Suisse le programme scolaire varie d’un canton à l’autre. « Les technocrates de la didactique et de la pédagogie ne sont pas en mesure, ce depuis plusieurs décennies, de produire un manuel d’histoire commun aux différents cantons », lit-on sur le site de L’Hebdo. Et à propos des langues : « Plusieurs cantons devront décider si oui ou non ils respectent le compromis trouvé […], à savoir enseigner une deuxième langue nationale et l’anglais au niveau primaire, libre aux cantons de choisir dans quel ordre ». Des voix s’élèvent pour juger excessive cette liberté cantonale, qui serait - entre autres - un frein à la mobilité. Mais pas au point de réclamer un programme fixé dans le détail au plan national. Aux Etats-Unis Eric D. Hirsch, grand avocat d’un « tronc commun » de savoir minimum pour tous les élèves, tient à préciser dans une note de bas de page d’un livre sur l’école et la démocratie : « Je ne plaide pas pour un programme national imposé depuis Washington ». Suivant les recommandations de Hirsch, l’administration Obama a tenté de mettre un peu d’ordre dans les programmes, en récompensant financièrement les Etats qui établiraient des tests sanctionnant un tronc commun. Mais il revient à chaque Etat de la fédération de définir ce qu’il entend par tronc commun. A Berne ou à Washington donc (et dans la plupart des vieilles démocraties), l’idée d’édicter des programmes à partir du centre politique est simplement inconcevable. En France, à droite comme à gauche, ce qui est inconcevable c’est l’inverse. On se bat sur le contenu des programmes nationaux, sans envisager l’éventualité d’y renoncer. C’est bien connu mais peu débattu, nous restons   accrochés à une conception hypercentralisatrice, qui remonte à Louis XIV et Napoléon. L’école doit être organisée comme l’armée. Revient sans cesse à l’esprit la métaphore éculée des boutons de guêtre, qui doivent être fixés depuis Paris. Le cliché sonne juste. Bruno Le Maire, que d’aucuns présentent comme le plus moderne de nos politiciens, plaide pour un collège diversifié, mais déjà il en peaufine horaires et programmes. Aux yeux d’un Suisse ou d’un Américain, c’est proprement stupéfiant. Les Français n’ont-ils donc tiré aucune leçon du cimetière d’échecs des réformes de leur système éducatif ? « Dégraisser le mammouth », disait Allègre en… 1997. Il n’a pas perdu un gramme, et son athérosclérose s’aggrave à vue d’œil. Après le choc créé par le premier classement PISA, en 2000, plusieurs pays ont pris des mesures significatives. Une étude Mc Kinsey publiée en 2011 dressait un palmarès des expériences jugées les plus réussies et en tirait quatre critères principaux de succès : un haut niveau de formation théorique et pratique pour les enseignants, un fort investissement pour aider les élèves en difficulté, la liberté pour les parents de choisir leur école, et enfin la décentralisation (jusqu’au niveau de l’école elle-même, avec parfois la faculté de recruter ses enseignants). Trois exemples frappants étaient évoqués : l’Ontario (au Canada, chaque province est libre d’organiser son système scolaire), la Saxe (land issu de l’Allemagne de l’Est) et la ville de Wrocklaw en Pologne. Toutes les études sont contestables et ce qui se fait dans tel pays n’est pas forcément exportable. Mais le système français pèche clairement sur ces quatre points. Le bon sens invite à voir là un sérieux problème systémique. Peut-on réformer efficacement en gardant le cadre ? C’est devenu très improbable. Un bel exemple, découvert dans ces colonnes : la suppression des classes bilangue risque d’ôter aux enfants de culture arabe la faculté de bien apprendre l’arabe moderne dans un environnement de qualité. L’effet recherché est une meilleure intégration, mais c’est le contraire qu’on obtient. Tout n’est peut-être pas bloqué à ce point, cependant. Un événement imprévu s’est inscrit au programme : le regroupement régional. Avec ses 7,6 millions d’habitants, la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes pèsera presque autant que la Suisse (8 millions). Nord-Pas-de-Calais-Picardie (6 millions),Poitou-Charentes-Limousin-Aquitaine (5,8), Midi-Pyrénées-Roussillon (5,6), Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace (5,5) pèseront chacune plus que la Finlande (5,4), souvent montrée en exemple. Il y a gros à parier que ces nouvelles puissances ne se contenteront pas de contribuer à financer les écoles ; elles voudront dire leur mot sur l’organisation et le contenu. Olivier Postel-Vinay Cette chronique est parue dans Libération le 3 juin 2015.

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