Incertaines éoliennes
Publié en octobre 2015. Par Olivier Postel-Vinay.
Le lobby éolien se frotte les mains : « Suite à l’adoption de la loi de transition énergétique, les professionnels de l’éolien saluent un texte qui va dans le sens d’une plus grande prise en compte de l’urgence climatique », lit-on sur le site de France Energie Eolienne. Transparaît cependant une certaine inquiétude : « des incertitudes n’ont pas été levées, notamment sur les contraintes d’implantation et l’intégration future au marché de l’électricité ». Le lobby aurait pu évoquer deux autres motifs d’inquiétude, moins connus. L’éolien est en effet loin d’être une technologie performante pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Cela finira par se savoir. Surtout, le solaire, moins efficace encore, a néanmoins des chances de l’emporter sur l’éolien.
Le problème numéro un posé par ces sources d’énergie est leur intermittence. Le rendement des centrales solaires et des fermes éoliennes dépend bien sûr de la zone où elles sont implantées, mais en moyenne l’éolien fonctionne à 25 % de sa capacité, le solaire à 15 %. Si l’on veut alimenter en continu les activités d’un pays, il faut donc compter sur les centrales classiques. Ce fait complique beaucoup la tâche de calculer le coût relatif réel des différentes technologies capables de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. L’exercice a été mené à bien en 2014 par un économiste de la Brookings Institution, Charles R. Frank. Ses conclusions semblent aujourd’hui validées. Elles sont claires : si l’on tient compte de l’intermittence et de tous les coûts associés aux différents types de centrale, les plus efficaces sont le gaz à cycle combiné, ensuite le nucléaire, puis l’hydroélectrique. L’éolien est loin derrière, le solaires plus loin encore. Si nous vivions dans un monde rationnel, il faudrait donc privilégier systématiquement les centrales au gaz à cycle combiné (qui récupère la chaleur des fumées) et les centrales nucléaires. Rien à voir avec les objectifs affichés par la plupart des Etats engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, qui mettent en avant les énergies dites renouvelables et les subventionnent lourdement : 260 milliards de dollars par an.
Dans notre monde irrationnel, la compétition s’exerce donc entre l’éolien et le solaire. Or, bien que ce dernier affiche aujourd’hui la plus faible efficacité, c’est lui qui a paradoxalement les meilleurs atouts. Alors que la technologie et le coût des éoliennes a peu de chances d’évoluer de manière significative, l’industrie solaire se transforme à grande vitesse et sur plusieurs fronts. Le prix des panneaux solaires a été divisé par cinq en six ans et de nouvelles technologies rendent n’importe quelle surface créée par l’homme utilisable pour générer de l’énergie photovoltaïque (une autoroute, par exemple). Le solaire est aussi de plus en plus aisément exploitable par des particuliers ou des communautés locales. En outre, les habitants des pays riches sont devenus très sensibles aux dommages environnementaux causés par les éoliennes. Les installations photovoltaïques, elles, sont de plus en plus discrètes - et sans risque pour les oiseaux.
D’ici quelques années, Charles R. Frank sera donc peut-être amené à revoir sérieusement ses calculs, du moins pour ce qui est des énergies les moins performantes. Le solaire pourrait passer devant l’éolien - tout en restant loin derrière le gaz à cycle combiné et le nucléaire.
Cependant l’élément le moins bien intégré dans ces calculs est aussi le plus impondérable : le risque. Frank inclut dans le coût du nucléaire le démembrement des centrales, le stockage des déchets et le coût assuranciel pour un possible accident grave. Mais le risque est d’abord affaire de perception. La raison pour laquelle le nucléaire n’est pas considéré comme une technologie prioritaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre est qu’un tel choix de le faire aurait un coût politique jugé à tort ou à raison exorbitant. Et si l’on veut être rationnel jusqu’au bout, force est de constater que les décisions stratégiques qui sont prises ou annoncées en la matière reposent sur l’évaluation d’un risque mal évalué. Au sens scientifique du terme, il n’est pas même démontré. Peut-on vraiment exclure que l’idée d’un réchauffement de la planète provoqué par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre rejoigne un jour le grand musée des illusions collectives ?
Olivier Postel-Vinay
Ce texte est paru dans Libération le 29 juillet 2015.