Thatcher en pointe sur le climat

Il paraît qu’il n’y a pas assez d’histoire de l’immigration dans les programmes du collège. Ni d’histoire des Lumières. Pourquoi pas un peu d’histoire du climat ? On y apprendrait les grands mouvements de réchauffement et de refroidissement, les très anciennes et les plus récentes, sous Homo sapiens. Au lycée, le programme pourrait se poursuivre par un zeste d’histoire politique du climat. On présenterait en encadré, par exemple, des extraits d’un rapport de la CIA, datant de 1974, mettant en garde contre les risques d’un refroidissement climatique et s’appuyant sur des climatologues américains pour annoncer un possible « passage à la prochaine ère glaciaire dans moins de 200 ans ». La grand-messe de la COP21 invite à réveiller les mânes d’une grand-messe de même nature, le sommet de la Terre à Rio en 1992. 172 Etats présents, 108 chefs d’Etat ou de gouvernement, dont le président George W. Bush. A la sortie était signée la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (au pluriel en français), dont la COP21 est issue. Une convention bien sûr non contraignante, mais dans laquelle chacun des Etats de la planète s’engage, avec beaucoup d’arrière-pensées, à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre. Il y a vingt-trois ans ! L’un des aspects les moins connus du processus ayant aboutit à Rio est le rôle de Margaret Thatcher. Il est décrit en détail dans un livre indispensable à qui veut comprendre les tenants et aboutissants de la science du climat et des négociations qui s’y réfèrent (1).  Le point de départ de la prise en compte politique de la question du réchauffement climatique est le cri d’alarme lancé par le scientifique américain James Hansen dans les locaux du Sénat en juin 1988. Trois mois plus tard, la Dame de Fer s’adresse à une Royal Society sidérée, (l’académie des sciences britannique), pour sonner le tocsin. Elle évoque le risque d’une « fonte accélérée des glaces et une augmentation subséquente du niveau de la mer de plusieurs pieds au siècle prochain ». Elle avait été sensibilisée au sujet depuis trois ans par l’un de ses conseillers au Foreign Office, Sir Crispin Tickell, auteur d’un livre prémonitoire publié en 1977, Climate Change and World Affairs. Crispin Tickell avait été nommé ambassadeur auprès de l’ONU en 1987 et le soutien de Thatcher ne fut pas pour rien dans la mise sur pied très rapide du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat) fin 1988. En mars suivant elle déclare à la BBC : « Nous ne comprenons pas encore complètement les gaz à effet de serre ni comment ils vont opérer, mais nous savons qu’il est de notre devoir d’agir ». En novembre, un jour avant la chute du mur de Berlin, elle évoque à la tribune des Nations-Unies l’apparition d’un « danger insidieux, aussi menaçant que les périls[…] dont s’est accoutumée la diplomatie internationale pendant des siècles : la perspective d’un dommage irréparable à l’atmosphère, aux océans, à la Terre elle-même ». Ce discours eut un énorme retentissement aux Etats-Unis. Pendant ce temps le Giec préparait son premier rapport et la Dame de Fer se tenait informée de la progression des travaux, recevant régulièrement son président, John Houghton. Elle lisait les textes qu’il lui présentait, crayon et gomme à la main. Le jour de la publication, elle fit un discours devant les climatologues britanniques : leur tâche était de « nous aider à sauvegarder le futur de la planète ». Intervenant à nouveau lors de la conférence mondiale sur le climat à Genève en novembre 1990, elle déclara que les incertitudes scientifiques ne pouvaient constituer une excuse pour ne pas agir. « Nous devons appliquer le principe de précaution au niveau international […] et ne pas perdre du temps et de l’énergie à discuter le rapport du Giec ». Elle appelait le plus grand nombre de pays possible à signer une convention cadre sur le climat en 1992. Ce fut son dernier message politique : elle devait démissionner quelques jours plus tard. Le sommet de Rio se réunit en l’absence de son principal inspirateur politique. Elle changea d’avis après avoir quitté le pouvoir. Dans son livre testament, Statecraft : Strategies for a Changing World, publié en 2003, elle exprime le sentiment de s’être fait rouler dans la farine par des experts plus inspirés par une idéologie catastrophiste que par le souci de chercher la vérité. Olivier Postel-Vinay Cet article est paru dans Libération le 1er décembre 2015. (1) Rupert Darwall, The Age of Global Warming, A History, Quartet 2013.

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