Baudelaire, Poe et l’abeille alcoolique
Publié le 5 octobre 2016. Par La rédaction de Books.
Les abeilles peuvent ressentir des effets comparables à ceux de l’ivresse. Selon les conclusions d’une étude parue dans la revue Science, elles ont tendance à être plus optimistes et plus audacieuses quand elles boivent un liquide sucré plutôt que de l’eau pure. L’ivresse du poète, elle, a contribué à forger sa légende. Pascal Brissette, auteur de La malédiction littéraire, raconte dans « Un verre de trop » comment l’image du rapport entre alcool écriture a basculé au milieu du XIXe siècle. Jusque-là, le breuvage enivrant était une béquille pour l’écrivain malheureux : pauvre, méprisé par la société et innocent. Soudain, il devient la drogue du poète maudit, rongé par son propre génie. Charles Baudelaire contribue, plus que tout autre, à l’émergence de cette figure. En 1851, dans un chapitre des Paradis artificiels intitulé « Du vin et du haschich », il célèbre les qualités du « dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne » : accessible au peuple, roboratif, générateur de sociabilité, compatible avec le travail, détend l’âme sans épuiser le corps. Et si le buveur type est ici l’ouvrier, Baudelaire soutient déjà que le vin contribue « au développement poétique de l’homme par la détente du corps et l’expansion lyrique de l’âme ». Cette théorie, il la développe à travers la figure d’Edgar Allan Poe.
En 1852, il publie une première biographie de l’auteur américain, décrit comme « un écrivain supérieur, un ouvrier du monde journalistique et un buveur solide qui trouva en l’alcool à la fois un objet de réconfort et de destruction. » Mais bien plus, Baudelaire conçoit la vie de Poe comme l’exemple d’une « destinée fatale ». L’Américain est responsable de ses vices et de sa mort. En 1856, dans la préface des Histoires extraordinaires, Baudelaire fait le lien entre cette « malédiction » et l’œuvre de Poe : « Je crois que dans beaucoup de cas l’ivrognerie de Poe était un moyen mnémonique, une méthode de travail, méthode énergique et mortelle, mais appropriée à sa nature passionnée, écrit-il. Le poète avait appris à boire, comme un littérateur soigneux s’exerce à faire des cahiers de notes. Une partie de ce qui fait aujourd’hui notre jouissance est ce qui l’a tué. »