Résolutions pour quand je vieillirai

«Ne pas épouser une jeune femme. Ne pas rechercher la compagnie des jeunes, à moins qu’ils ne le désirent réellement. Ne pas être acariâtre, morose ou soupçonneux. Ne pas tourner en ridicule les manières, l’esprit, les modes, la guerre, etc. Ne pas aimer trop les enfants ou les laisser venir trop près de moi. Ne jamais répéter trop souvent la même histoire aux mêmes personnes. Ne pas être avare. Ne pas négliger la décence ou la propreté de peur de tomber dans l’ignominie. Ne jamais être trop sévère pour les jeunes et plutôt tenir compte de leurs juvéniles excentricités et de leurs faiblesses. Ne pas donner son avis quand on ne vous le demande pas ni en encombrer personne que ceux-là seuls qui le désirent. Ne pas demander à de bons amis de me révéler celles de mes résolutions que j’enfreins ou que je néglige et en quelle façon, et me réformer moi-même dans le sens nécessaire. Ne pas parler beaucoup ni surtout de moi-même. Ne pas me vanter de ma beauté, ou de ma force passée, ou de mon succès auprès des dames, etc. Ne pas prêter l’oreille à la flatterie, ni songer que je puisse être aimé par une femme jeune ; haïr et éviter ceux qui sont à l’affût des héritages. Ne pas être affirmatif ou opiniâtre. Ne pas vouloir passer pour un homme qui observe toutes ces règles, de peur de n’en observer aucune. »

  Ce texte est de Jonathan Swift. Le titre aussi. L’écrivain irlandais avait 32 ans. À 40 ans, Montaigne se voyait « engagé dans les avenues de la vieillesse ». Aujourd’hui, les octogénaires pètent le feu. C’est du moins ce qu’on entend, ce qu’on nous fait entendre, ce qu’on veut entendre. Non sans quelque raison. L’espérance de vie atteint des sommets. Elle est de 85,7 ans au Japon et de 81,9 ans en France pour les deux sexes confondus – et plus élevée pour les femmes. Et, en effet, beaucoup d’entre nous peuvent espérer avoir une vieillesse active et heureuse. Mais regardons les choses en face. Plus du quart de la population présente des signes de démence après 85 ans. En pourcentage, d’après une étude américaine, la perte de mobilité fonctionnelle des plus de 80 ans a tendance à augmenter. Aujourd’hui, les retraités s’occupent de leurs parents dépendants. Quant à ceux d’entre nous qui resteront à peu près autonomes, ils auront pour la plupart des facultés intellectuelles et une créativité amoindries. Nous avons tous en tête des exceptions qui nous font rêver. Mais la dure loi des statistiques s’impose : il s’agit d’exceptions.  

« Un octogénaire plantait. Passe encore de bâtir, mais planter à cet âge ! Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage. »

La Fontaine, « Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes »

  Nous croulons sous les livres de psychologie positive vantant la perspective d’une vieillesse fraîche et joyeuse. Sans céder au pessimisme, sachons raison garder. Nous publions dans ce numéro le texte d’un cancérologue et bio-éthicien qui, à 57 ans, annonce ne pas vouloir vivre au-delà de 75. Ses arguments valent d’être médités. Plusieurs entrent en résonance avec les résolutions de Swift. Chose amusante, les deux auteurs terminent par le même genre de pirouette. Le premier évoque la possibilité de n’observer aucune des règles. Le second se « réserve le droit de changer d’avis ».

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