Les cavaliers de M. Guterres

Avez-vous déjà entendu parler d’un certain António Guterres ? C’est le secrétaire général des Nations unies. Dans un discours prononcé en janvier dernier pour le 75e anniversaire de cette institution (dont on ne sait plus bien quoi penser), il mettait en garde contre « quatre cavaliers » (il n’a pas ajouté « de l’Apocalypse », mais c’était implicite).

Le premier ? Ce sont « les plus fortes tensions géostratégiques que nous ayons connues ­depuis des années ». Décrivant les conflits qui sèment la misère un peu partout et les attentats terroristes, il précisait : « Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais autant de personnes n’ont été chassées de leur foyer par la guerre et les persécutions. » Et la menace nucléaire s’accroît. De fait, pour sa secrétaire générale adjointe chargée du désarmement, Izumi Nakamitsu, il est clair que la menace d’une déflagration nucléaire est « à son plus ­niveau depuis la Guerre froide ». Dans la popu­lation générale, bien peu de gens ont en tête ce genre de risque.

Son deuxième « cavalier », c’est le climat. Un sujet au contraire très populaire, au moins dans les démocraties occidentales (la grosse exception est le Parti républicain aux États-Unis). M. Guterres fait sonner les cymbales : « Les scientifiques nous disent que la hausse de la température de nos océans équivaut à cinq bombes d’Hiroshima par seconde. » Allons, du calme !

Son troisième cavalier est plus intéressant : il s’agit de « la méfiance profonde et croissante qui pèse sur le monde ». Il voit l’inquiétude et le mécontentement agiter « les sociétés du Nord comme celles du Sud ». « De plus en plus de gens sont convaincus que la mondialisation est contraire à leurs intérêts. […] La confiance dans les institutions politiques s’érode. Les jeunes se rebellent […] L’hostilité à l’égard des réfugiés et des migrants se renforce et la haine s’accroît. »

Le quatrième cavalier est un classique : « la face obscure du monde numérique ». En cause, les nouvelles armes, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle, l’automatisation. « Les progrès technologiques vont plus vite que notre capacité à y répondre, voire à les comprendre. »

Voilà donc selon M. Guterres les quatre principales « menaces » qui pèsent sur le XXIe siècle. « Ces quatre cavaliers peuvent mettre en péril tous les aspects de notre avenir commun. » On était en janvier. Il avait oublié les épidémies, les 32 millions de morts du sida, par exemple (encore près de 700 000 en 2019). À sa liste il aurait pu ajouter la montée des autocraties, les erreurs des collectifs d’experts, le risque que suppose pour la planète l’arrivée au pouvoir d’un leader aberrant, le fait inattendu que le progrès de l’instruction ne diminue pas la prévalence de la sottise et, plus généralement, le rôle souvent décisif d’événements totalement imprévus et imprévisibles, ces « cygnes noirs » dont les attentats du 11-Septembre sont l’exemple paradigmatique.

Toutes les époques ont charrié leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs, et on ­aurait pu imaginer que M. António Guterres, se fondant sur les analyses de divers économistes, technologues ou historiens, prenne au contraire à rebours le discours dominant sur les apocalypses qui nous guettent et dresse la liste des raisons de penser, sinon que tout ira mieux dans le meilleur des mondes, du moins que l’humanité continuera cahin-caha de faire la preuve de son extraordinaire faculté d’adaptation. Il aurait risqué le ­ridicule.

SUR LE MÊME THÈME

Edito Une idée iconoclaste
Edito No kids !
Edito Soigner mes traumas

Aussi dans
ce numéro de Books