Comment dit-on « intégration » en arabe ?

« Les banlieues [en français dans le texte] sont bien plus diverses que les ghettos des villes américaines […]. Comparées aux bidonvilles américains, les banlieues ont un habitat et un niveau de sécurité relativement décents », écrit le journaliste et écrivain américain George Packer dans une belle enquête publiée par le New Yorker. Mais le « sentiment d’exclusion » de ces « communautés aliénées » est « un problème aigu que la république a négligé depuis des décennies ». De fait, « la distance psychologique qui sépare le 93 des Champs-Elysées est bien plus grande qu’entre le Bronx et Times Square ». L’un des problèmes explorés par George Packer est bien entendu l’inadaptation du système scolaire. « Un soir, dans un restaurant thaï à Aulnay-sous-Bois, Ben Ahmed me dit : « Je connais à peine mon histoire. Elle n’est pas enseignée ; et parce qu’elle est douloureuse ma mère et mon grand-père ne m’en ont jamais parlé […]. Et comme ni nos parents ni l’Etat ne nous disent cette histoire, d’autres gens viennent nous raconter des mensonges pour justifier des choses injustifiables ». Les programmes sont encore moins adaptés aux besoins des enfants des banlieues qu’à ceux des centres-villes et ces zones sont les plus mal loties de l’Education nationale. George Packer décrit le décrochage des garçons vers 14 ans, l’entrée dans une vie précaire, le ressentiment, la prévalence de l’antisémitisme et l’attraction paradoxalement exercée par le FN sur ces jeunes Français malgré tout fiers de l’être. Vers la fin de son enquête le journaliste américain évoque la fameuse phrase de Manuel Valls, prononcée peu après les attentats de janvier 2015, sur cet « apartheid territorial, social, ethnique ».  Et rencontre Nicolas Cadène,   « rapporteur général » sur la laïcité  auprès du Premier ministre.   Le « jeune et sincère politicien socialiste » lui explique qu’il faut commencer par réformer l’école. Mettre plus d’histoire coloniale dans les programmes, et aussi « encourager l’enseignement de l’arabe ». Packer laisse passer la formule sans commentaire. Elle est pourtant explosive. Comme le rappelait un intéressant article de Juliette Bénabent publié par Télérama en mai dernier sur l’enseignement de l’arabe en France, Najat Vallaud-Belkacem, tout juste nommée ministre de l’Education, fut victime d’un montage, une fausse circulaire encourageant les maires à instaurer des cours d’arabe. « Son cabinet est tétanisé par le sujet », dit à la journaliste Bruno Levallois, ancien inspecteur général de la langue arabe à l’Education nationale. Bruno Levallois faisait partie de l’équipe de Vincent Peillon, l’ancien ministre PS de l’Education nationale, qui avait déclaré en 2012 : « L’enseignement de l’arabe doit être un axe de développement stratégique du ministère ». Aujourd’hui le sujet est complètement bloqué, aggravé même puisque l’annonce de la suppression des classes bilangues signifierait la fin de toute possibilité d’apprendre l’arabe en sixième dans le cadre de l’école publique. Il y a très peu de postes ouverts au Capes ou à l’agrégation d’arabe, certaines années zéro. Aucune mesure n’est prise pour favoriser le recrutement d’enseignants contractuels compétents. C’est tout de même curieux. L’arabe est la seconde langue parlée en France et toute la population est consciente de l’acuité du problème des banlieues – même si les interprétations diffèrent. Si Voltaire ou Diderot étaient parmi nous, ils donneraient raison à Peillon. Il est simplement limpide qu’il faut de toute urgence engager une action à long terme destinée à permettre aux élèves qui le souhaitent de prendre arabe seconde langue au collège. Aujourd’hui la plupart des jeunes qui reçoivent des cours d’arabe le font en dehors de l’école publique, dans le cadre d’associations d’inspiration confessionnelle. Est-ce vraiment souhaitable ? Pour les jeunes des banlieues - les garçons sans doute plus que les filles-, l’école publique est souvent perçue comme un instrument d’exclusion. Est-ce que nous recherchons ? Du point de vue de l’enseignement, l’arabe dit « moyen », celui de la presse et de la littérature moderne, est un magnifique outil d’apprentissage linguistique et culturel. Et le marché de l’emploi, lui, est grand ouvert aux arabisants – comme en témoignent les cours d’arabe offerts aux étudiants des grandes écoles. Manuel, Najat, encore un effort ! Olivier Postel-Vinay Cet article est paru dans Libération le 13 octobre 2015.

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