Déni de Freud

J’ai sous les yeux trois articles exceptionnels. Ils ont trait au livre de Michel Onfray, Crépuscule d’une idole, titre emprunté à Nietzche et, plus récemment, à Books (« Foucault, crépuscule d’une idole », n°8, septembre 2009). Dans ce pavé « fort d’un million de signes », écrit Onfray, celui-ci s’emploie à déboulonner la statue de Freud. Après bien d’autres, et avec la fougue d’un procureur qui vient de découvrir le pot aux roses.

Le premier article est de Bernard-Henri Lévy, le second d’Onfray lui-même, le troisième d’Elisabeth Roudinesco. BHL sort son gros pétard : « banal, réducteur, puéril, pédant, parfois à la limite du ridicule », c’est « un tissu de platitudes, plus sottes que méchantes ». Texte publié en simultané dans Le Point et sur le site américain Huffington Post. C’est chic. Grand prince, peut-être un peu plus, Le Point a choisi de publier la réponse de l’intéressé, plus longue que le texte de BHL, plus brutale aussi : « Ma thèse, dans ce livre, est nietzschéenne : la philosophie est toujours la confession de son auteur, son autobiographie, pour Freud comme pour les autres. Posons l’hypothèse, pour rire un peu, que ce journaliste est un philosophe : alors, lui aussi aura la philosophie de sa propre personne. On comprend dès lors qu’il vole au secours d’un faussaire, d’un faiseur, d’un affabulateur, d’un menteur, d’une personnalité narcissique, d’un mégalomane, d’un sectaire[...] ».

Et voici Elisabeth Roudinesco, dans Le Monde (dès qu’il s’agit de Freud, par un réflexe quasi pavlovien, Le Monde lui ouvre ses colonnes) : « l’ouvrage n’est que la projection des fantasmes de l’auteur sur le personnage de Freud ». Elle a précisé sa pensée sur BibliObs, le site littéraire du Nouvel Observateur : « Pour se venger de la haine que lui a inspiré sa mère, il a décidé d’attaquer celui qu’il considère comme le responsable de tous les complots contre le père : Sigmund Freud, dont on sait qu’il fut adoré par sa mère ».

Rions un peu. Ce qui relie ces trois personnages, c’est le déni. Ce même déni qui fut mis à jour et magnifiquement analysé par – tiens donc – Freud ! En 1910, il écrivait par exemple : « Le névrosé se détourne de la réalité effective parce qu’il la trouve – elle toute entière ou des parties de celles-ci – insupportable ». Quelques lignes plus loin, il évoque la « tâche » qui lui incombe d’examiner « la relation du névrosé et de l’homme en général [c’est moi qui souligne] à la réalité ». Or, s’il est vrai que Freud était un « faussaire, un faiseur, un affabulateur, un menteur, une personnalité narcissique, un mégalomane, un sectaire » (cette « réalité » n’a pas attendu Onfray pour être mise en évidence), il n’en est pas moins vrai qu’il fut par ailleurs un penseur de génie. Ce n’est pas par hasard si depuis un siècle cet homme exerce une telle influence et continue de nous bousculer. C’est à lui, en particulier, que nous devons cette notion de déni, si fondamentale pour comprendre « l’homme en général ». Le déni, c’est-à-dire « le refus de reconnaître une réalité dont la perception est traumatisante pour le sujet » (je cite ici la définition donnée dans le Dictionnaire historique de la langue française, qui fait explicitement référence à Freud). Ce refus nous concerne tous, à des degrés divers, dans notre être intime. Il se traduit par des comportements surprenants que les autres se font un plaisir d’analyser.

Ainsi Elisabeth Roudinesco croit-elle savoir pourquoi l’apport de Freud fait l’objet d’un tel déni de la part d’Onfray (mais quelle est la vraie confession de sa philosophie ?). Celui-ci croit savoir pourquoi la critique radicale de la personnalité de Freud provoque une réaction de déni chez BHL. Quant au déni pratiqué par Elisabeth Roudinesco, il est identifié depuis longtemps : la grande prêtresse du freudisme français supporte mal l’idée qu’elle pourrait consacrer le plus clair de son énergie à rendre un culte à une idole.


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