Inattendu
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Femme qui lit…


Dans Faerie Queene, à la fin du XVIe siècle, Edmund Spenser décrit un monstre mi-femme, mi-serpent, qui vomit un mélange de livres, de papiers, de grenouilles et de crapauds. « Une image extraordinaire des conséquences dangereuses d’une lecture incontrôlée et indigeste », assure Belinda Jack dans The Woman Reader. Cette professeure de littérature y passe l’histoire au prisme des habitudes de lecture des femmes, avec en filigrane cette question : pourquoi la lectrice inquiète-t-elle ?

« Depuis des temps immémoriaux, la femme qui lit est considérée comme un être subversif, un élément perturbateur ou menaçant pour la stabilité d’une relation, d’une communauté, voire d’une nation ou d’une Église tout entière », rappelle l’universitaire.

Ce dont témoigne au premier chef l’image qu’en donnent les peintres. L’homme représenté avec un livre n’expose que son statut social. La femme, elle, trahit son peu de vertu. Au XVIIIe siècle, Pierre-Antoine Baudouin ne montre-t-il pas dans La lecture une femme absorbée dans ses pensées, un livre dans une main, l’autre disparaissant sous ces jupes ?

Il faut dire que l’invention du roman, royaume de la lecture solitaire et silencieuse, activité privée par excellence, fait peser le soupçon sur le potentiel érotique de la passion littéraire. Comme l’écrit Hermione Lee dans le Guardian à propos de The Woman Reader, « lire pouvait conduire à la dépravation, mais aussi à l’indépendance, donner lieu à des pensées secrètes incontrôlables et à l’incapacité de distinguer entre le réel et l’imaginaire ». Longtemps, la société a donc prôné un strict contrôle de la lecture des femmes. Dans la Londres victorienne, un médecin spécialiste de l’hystérie conseillait ainsi de surveiller l’humeur de la femme en train de lire un roman. Si elle est troublée, ajoutait-il, « distrayez-la avec un livre sur un sujet pratique, comme l’élevage des abeilles ».

Crainte d’un autre âge ? Pas vraiment. En 1960 encore en Grande-Bretagne, souligne Hermione Lee, « lors du procès de L’Amant de Lady Chatterley, le procureur général eut cette formule célèbre, demandant si “vous aimeriez que votre épouse ou votre bonne lise ce livre” ». Et en Arabie saoudite aujourd’hui, des femmes organisent des clubs de lecture clandestins pour débattre de… Alice au pays des merveilles.

 

 

LE LIVRE
LE LIVRE

La femme qui lit de Belinda Jack, Yale University Press, 2012

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