Jésus, oui, mais lequel ?

Et si Jésus, enfant, avait été un sale gosse, insolent et violent, qui faisait disparaître ses contradicteurs à coups de malédictions meurtrières ? Et s’il avait fait des miracles plutôt insolites, comme de ressusciter des coqs déjà cuisinés ? Et si l’affaire de sa conception dans le sein d’une vierge était plus complexe qu’il n’y paraît ? Et si… Mais alors qu’il existe au moins une quarantaine de chroniques de la vie de Jésus, sans compter celles qui restent à découvrir ou inventer, le christianisme romain n’a homologué que les récits à peu près homogènes des quatre Évangiles canoniques, occultant tout le reste. C’est ce processus de construction du monopole que retrace la journaliste britannique Catherine Nixey, elle-même fille d’un moine et d’une nonne (défroqués). 

De fait, « pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, le débat a fait rage autour de la personne de Jésus, de ses actions, de son importance réelle », souligne Frank Lawton dans The Spectator. La bataille fut rude pour éliminer la longue série des proto-Jésus, depuis Esculape ou l’empereur Vespasien jusqu’à Apollonios de Tyane. Ce candidat-là cochait beaucoup de cases : ascendance divine (il était fils du dieu Protée), prodiges à la naissance, miracles à l’envi, condamnation par l’autorité romaine, réapparition quelques jours après disparition, doctrine christo-compatible, etc. Par-dessus le marché, certains concepts phares de la chrétienté, l’enfer ou la résurrection des morts notamment, étaient déjà présents chez Plutarque (l’histoire de Thespésius, ressuscité après être volontairement tombé du haut de sa maison). Et Pythagore et Platon prônaient si bien le culte de la vertu que Clément d’Alexandrie les accusera de plagiat (Platon ayant, selon lui, découvert le message de Moïse lors d’un voyage en Égypte !). 

Pour ne rien arranger, l’exclusivité revendiquée par le christianisme allait à contre-courant des fluides habitudes religieuses d’une époque où les multiples cultes puisaient les uns chez les autres, s’échangeant sans vergogne divinités, rites ou croyances. Mais la chance a voulu que des empereurs romains, Constantin en tête, aient compris les avantages d’une croyance centralisatrice et qu’ils aient assisté les chrétiens dans leurs efforts pour éliminer manu militari les tentations centripètes des « hérétiques » – c’est-à-dire, en grec et en gros, « ceux qui voulaient choisir ». 

LE LIVRE
LE LIVRE

Heresy: Jesus Christ and the Other Sons of God de Catherine Nixey, Picador, 2024

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