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La première vague du manga


Suzume Odori-zu, Hokusai Manga, Volume 3

Cette année encore, le festival de bande dessinée d’Angoulême fait la part belle au manga avec trois expositions consacrées aux bulles japonaises dont une rétrospective exceptionnelle des œuvres du maître Osamu Tezuka. Les Français se sont très tôt intéressés au dessin japonais. C’est ainsi qu’Edmond de Goncourt publia en 1896 la première monographie consacrée à Hokousaï, le peintre des célèbres vues du mont Fuji et de la grande vague de Kanagawa. Il décrit dans cet extrait la genèse des quinze volumes de croquis, que l’artiste appelait ses « mangwa », « ses dessins spontanés ».

 

Parmi tous les romans illustrés par Hokousaï, de 1805 à 1808, l’illustration du Rêve du Camphrier du Sud eut un immense succès, succès dont se montra jaloux le romancier, et un refroidissement se fit entre Bakin et Hokousaï, et avec ce refroidissement, la volonté chez chacun d’eux de ne plus travailler ensemble. Toutefois, les éditeurs furent si habiles à ménager les amours-propres des deux hommes, qu’ils obtinrent d’eux de collaborer encore pour la fin de l’ouvrage, qui parut en 1811. Mais quand les dessins furent terminés, et communiqués à Bakin, il trouva que les dessins ne correspondaient pas avec le texte, demanda qu’ils fussent modifiés, et Hokousaï, auquel on fit part de cette prétention de l’écrivain, répondit que c’était le texte qui avait besoin d’être modifié. Et les éditeurs ayant fait graver le texte et les dessins, tels qu’ils leur avaient été livrés, une brouille éclata entre les deux hommes.

Du jour de ce dissentiment entre Hokousaï et Bakin, il entra dans la pensée du peintre de publier des volumes de dessins, se passant du texte d’un littérateur, et d’une vente égale à un volume, où avait associé à son nom, le nom de Bakin.

C’est dans cette disposition d’esprit, qu’à quelques années de là, prit naissance la Mangwa, dans des circonstances jusqu’ici tout à fait inconnues, et que nous révèle la préface de Hanshû, en tête du premier volume, et que j’ai eu l’idée de faire traduire par Hayashi : « Hokousaï, le peintre d’un talent si extraordinaire, dit Hanshû, après avoir voyagé dans l’Ouest, s’est arrêté dans notre ville (à Nagoya), et là, il a fait connaissance avec notre ami Bokousén, s’est amusé à s’entretenir du dessin avec lui, et dans ces conversations, a dessiné plus de trois cents compositions. Or, nous avons voulu que ces leçons profitassent à tous ceux qui apprennent le dessin, et il a été décidé d’imprimer ces dessins en un volume, et quand nous avons demandé à Hokousaï, quel titre il fallait donner au volume il a dit tout simplement : Mangwa, que nous avons couronné de son nom,

Hokousaï Mangwa, dont la traduction littérale est Man : au gré de l’idée ; gwa, dessin, et la traduction serait peut-être : le dessin tel qu’il vient spontanément. »

La Mangwa, cette profusion d’images, cette avalanche de dessins, cette débauche de crayonnages, ces quinze cahiers, où les croquis se pressent sur les feuillets, comme les œufs de la ponte des vers à soie sur une feuille de papier, une œuvre qui n’a pas de pareille chez aucun peintre de l’Occident ! La Mangwa, ces milliers de reproductions fiévreuses de ce qui est sur la terre, dans le ciel, sous l’eau, ces magiques instantanés de l’action, du mouvement, de la vie remuante de l’humanité et de l’animalité, enfin, cette espèce de délire sur le papier du grand fou de dessin de là-bas !

Alors tout de suite, le premier volume entr’ouvert, dans ces libres croquis, où un peu de rose fait la chair, un peu de gris les demi-teintes sur le papier crème, des enfants, des enfants, des enfants, dans tous leurs jeux, leurs amusements, leurs poses, leurs gamineries, leurs gaietés ; puis les dieux, les génies, les prêtres bouddhistes et sinthoïstes, moqués en mille petites caricatures rieuses ; puis tous les métiers, toutes les professions dans le travail, et l’exercice de la profession ; puis le monde des faiseurs de tours de force, en l’effort de l’adresse et de la force ; et encore des Japonaises dans les gracieux accroupissements de leur vie à quatre pattes, dans les coquetteries de leur toilette, dans les anatomies de leurs sveltes personnes aux bains ; et encore le Japonais dormant, réfléchissant, priant, lisant, jouant, pérorant, s’éventant, cuisinant, se grisant, se promenant, cavalcadant, pêchant à la ligne, se battant, en un rendu de tous ces actes de la vie, spirituel, joliment ironique ; et encore tous les animaux, même ceux que ne possède pas le Japon, comme l’éléphant et le tigre, et tous les oiseaux, et tous les poissons, et tous les insectes, et tous les arbres, et toutes les plantes : voici ce qui remplit les cinquante feuilles de ce premier volume dont la première planche représente le couple Takasago, le type du vieux ménage parfait au Japon, la femme portant un balai pour balayer les aiguilles des pins, l’homme une fourche pour les ramasser.

À la fin de ce premier volume, paru en 1812, Hokoutei Bokousén (l’artiste à la conversation qui a fait naître la Mangwa) et Hokou-oun (qui deviendra le professeur d’architecture du Maître), dont la collaboration a consisté tout simplement à fac-similer les dessins réduits d’Hokousaï, se déclarent les élèves du maître.

Le second volume de la Mangwa paraît seulement en 1814, deux ans après la publication du premier volume, avec une préface de Rokoujuyén, et la collaboration pour le fac-similé des dessins de Toyenrô Bokousén et de Todoya Hokkeï, qui deviendra le meilleur élève, et approchera le plus du talent de Hokousaï.

Dans la multiplicité des motifs, c’est toujours la même variété, une page de métiers à côté de supplices de l’Enfer bouddhique ; une page entière d’attitudes de femmes, en face d’une page d’attitudes d’hommes ; une page de masques en face d’une page d’ustensiles de ménage ; enfin une page de morceaux de rochers pour décors du jardinage, en ce pays de jardins pittoresques, où les morceaux de rochers se payent plus cher qu’en aucun lieu de la terre, en face d’une page d’animaux fantastiques qui mangent les mauvais rêves.

Le troisième volume paraît l’année suivante, en 1815, avec une préface de Shokousan, qui jette carrément à l’eau la vieille école, et déclare que les anciens artistes, qui ont illustré les manuscrits de Quénji, doivent céder la place aux artistes des images rouges (les dessins de l’École vulgaire).

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Plusieurs planches de ce volume représentent les durs et laborieux travaux de l’industrie minière. Viennent après deux amusantes doubles planches : l’une consacrée à la lutte, vous faisant assister à ces empoignements colères, à ces musculeux corps à corps, à ces broiements de torses, à ces brusques déracinements du sol, à ces culs sur tête d’un vaincu jeté à bas ; l’autre vous montrant des danseurs dans toute l’épilepsie d’entrechats d’une danse endiablée. Suivent les portraits préhistoriques des deux premiers rois de la Chine, une bande de nègres drôlatiques, à l’aspect d’ombres chinoises trouvés dans l’imagination d’Hokousaï ; et en face l’un de l’autre, la figuration du dieu du Tonnerre figuré dans un nimbe formé de tambourins, et du dieu du Vent, tenant fermées de ses deux mains, sous son menton, les deux ouvertures de l’outre des vents, qu’il a sur le dos.

Le titre de ce volume, toujours gravé en ces belles grosses lettres ornementales de la Chine, qui ont l’air de morceaux de jade sculpté, et dans un cadre, que soutiennent sur leurs cous, deux petits Japonais à la figure rieuse sous les houppes de leur front et de leurs tempes, et c’est un charmant frontispice.

Le quatrième volume paraît l’année suivante, en 1816, avec une préface d’Hôzan. Ce volume est tout plein de sujets de l’histoire mythologique et préhistorique. On y voit Kintoki chassant un diable ; on y voit le dragon à neuf têtes venant boire aux neuf coupes où il trouvera la mort ; on y voit un sennin chevauchant une carpe monstrueuse, etc., et au milieu de cela, des planches de légumes, des planches d’herbes, des planches de branches d’arbustes en leurs tons roses et gris, d’une douceur d’impression inexprimable. Deux feuilles curieuses sont deux feuilles d’hommes et de femmes barbotant joyeusement, se soutenant dans l’eau avec des appareils natatoires, nageant, plongeant, détachant des plantes marines, prenant des poissons à la main.

La dernière planche représente un homme et une femme, gras à lard, aux bajoues tombantes, au ventre redondant, qui ont sur la figure le gaudissement canaille de ce qu’ils vont trouver à manger dans une marmite, dont le mari soulève le couvercle ; c’est le bon ménage aux joies crapuleuses de la basse classe, le bon ménage Wagôjin, le ménage en opposition avec le ménage Takasago, le ménage de l’homme à la fourche, de la femme au balai.

Le cinquième volume paraît, l’été de cette même année 1816, avec une préface de Rokoujuyén.

Un volume qui est presque un cours d’architecture, et qui débute par les portraits en costume officiel, et la planchette de leur nomination à la main, de Tatihoo-no-mikoto et de Amano-hikosati-no-mikoto, les deux premiers architectes, qui ont appris aux Japonais l’art de construire des temples, des châteaux, des habitations, et c’est suivi de tori-i, d’une tour à la grosse cloche, de la bibliothèque hexagonale et tournante inventée par le prêtre Foudaï, de l’entrée du bâtiment où sont enfermés les livres bouddhiques, de toits ornementés de bonzeries. Parmi ces planches, une composition curieuse est une demande faite au ciel, par un homme tout au haut du pic d’une montagne, les deux mains réunies dans un geste de prière, autour d’un bâton, au bout duquel est sa demande sur une bande de papier, que le vent soulève dans l’air. Et le volume se termine par la représentation de personnages mythiques et historiques, comme la déesse Ousoumé, comme Saroudashiko, le dieu qui a rendu la lumière à la terre, comme le guerrier chinois Kwan-on, qui est en adoration en Chine, et dont l’image se rencontre dans les plus pauvres intérieurs.

En la même année 1816, paraît encore le sixième volume, qui a pour frontispice un arc symbolique, sur lequel la flèche est tendue par deux dragons.

Ici, les exercices du corps, dans un prestigieux rendu du déploiement de la force et de l’adresse. Ce sont d’abord les tireurs d’arc, et le tirage de l’arc à la hauteur de l’oreille, au-dessus de la tête, en bas de la ceinture, avec une dernière planche donnant les détails de l’arc, du gant de cuir, du canard en bois servant de cible. Après les lutteurs, les cavaliers, et le trot, et l’amble, et le galop, et le mors aux dents de ces petits chevaux chevelus, à l’aspect de larves, sous le cavalier en selle, et toujours avec une dernière planche donnant la selle ornée, les guides, les lourds étriers. Mais la merveille de ce volume, comme figuration d’un corps humain en mouvement, c’est l’étude de l’escrime pour la lance ou le sabre, où soixante-douze petits croquis d’homuncules, et une vingtaine de plus grands, vous mettent, comme sous les yeux, les avances, les retraites, les torsions de corps, la volte des pieds, les parades, les ripostes de ce simulacre de la guerre. Une planche, tout entière de bras et de mains, indique la manière de s’empoigner dans une lutte à main plate. Enfin, des planches reproduisent le maniement des lourds mousquets, introduits par les Hollandais, et même Hokousaï, dans une note, précise la date de leur introduction au Japon, qui est de l’année 1542.

En 1816, paraît encore le septième volume de la Mangwa.

Un volume, pour ainsi dire entièrement rempli de paysages, par le soleil, le brouillard, l’orage.

Toujours, en 1816, paraît le huitième volume, avec un titre fait à l’imitation d’un morceau d’étoffe brodée.

En tête, la figuration de Waka-mousoubi-no-Kami, la femme qui a inventé les tissus faits avec les fibres du bois, et près d’elle la princesse Seiriô, la femme du roi, qui a eu l’idée de l’élevage de vers à soie, 2614 ans avant l’ère chrétienne, et à sa suite, des métiers à tisser, qui ont tout l’air d’être dessinés par un ingénieur. Et soudain l’album saute à des gymnastes, faisant du trapèze autour d’un bambou, à des acrobates, jonglant avec un sabre, portant sur le front, au bout d’un long bâton, un vase plein d’eau en équilibre, ôtant debout leur chapeau avec un pied, buvant à la renverse une tasse de thé, placée à terre derrière eux. Deux planches de têtes d’aveugles sont de la plus frappante vérité. Et en dernier lieu, des études sur les gras et les maigres d’une fantaisie et d’un drolatique à mourir de rire. Il faut voir ces massives Japonaises, en leurs lourdes promenades, les voir, en l’avachissement de leurs charmes, dans le sommeil ou dans le bain, il faut voir leurs pléthoriques compatriotes dans l’essoufflement de la marche, dans l’épongement de la sueur, dans l’effondrement et l’anéantissement de leur repos, sur leurs pesantes fesses. Et la page des gras retournée, vous êtes en présence de ces torses, que percent les côtes, de ces dos, où se comptent les nœuds de la colonne vertébrale, de ces cous décharnés, de ces bras étiques, de ces jambes de phtisiques, de ces anatomies ridicules, qui vous rappellent à la fois les macabres et comiques écoles de natation de Daumier.

Il y a un intervalle de trois ans entre la publication du huitième et du neuvième volume, qui paraît seulement en 1849.

Ce volume est plein d’anecdotes relatives à la vie intime de Kiyomori.

Cette voyageuse qui marche rapide à travers la campagne, se dirigeant vers deux femmes à la porte d’une habitation, au loin, au loin, c’est Hotoké, la maîtresse de Kiyomori, la plus belle et la meilleure danseuse de son temps. Deux sœurs ont sollicité de danser devant Kiyomori, et par bienveillance pour leur jeunesse et leur grâce, elle a fait accueillir leur demande par son amant. Mais le prince s’est épris d’elles, et a voulu en faire ses maîtresses. Elles ont refusé, et pour se soustraire à sa toute-puissance, elles se sont faites religieuses, et Hotoké, reconnaissante de cette délicate conduite à son égard, va les rejoindre dans leur couvent.

Plus loin encore, c’est le sensuel Kiyomori, en présence de la femme de Minamoto, une main sous la joue, tristement réfléchissante dans une pose d’accablement. Kiyomori a vaincu Minamoto et veut exterminer sa famille, dont il s’est emparé dans sa fuite, et qui est composée de sa femme et de ses trois enfants. Mais au moment d’ordonner leur mort, il a la curiosité de voir la femme de Minamoto, et, soudainement séduit par sa beauté, il lui demande de lui appartenir, ce à quoi elle se résigne, sur la promesse qui lui est faite, que ses enfants seront épargnés. C’est ce marché qui fait le sujet de l’estampe. Or, un jour, ces trois enfants vengeront leur père, anéantiront la famille Taïra, et l’aîné des trois enfants sera Yoritomo, le premier shôgoun de Kamakoura.

Une autre composition : c’est Okané, femme, à la réputation d’une force herculéenne, qu’un musculeux guerrier a cru pouvoir arrêter dans sa marche, et qui, d’un bras tenant un barillet sur sa tête, continue à s’avancer tranquillement, entraînant, de l’autre bras, l’homme aux deux sabres.

Et ce sont encore des représentations de musiciennes japonaises ; d’une année de bonne récolte, avec la joie et l’engraissement subit des paysans ; et on ne sait pourquoi, le portrait d’un astronome hollandais.

La même année 1819, paraît le dixième volume, avec une préface vantant la persévérance dépensée par Hokousaï, pour arriver à la publication de ces dix volumes.

Des saltimbanques, des faiseurs de tours, des prestidigitateurs, des équilibristes, des avaleurs de sabres, des vomisseurs d’essaims d’abeilles, des thaumaturges se rendant la tête invisible.

Mais je ne veux décrire dans ce volume, que deux compositions, deux compositions d’un fantastique macabre, dépassant tout ce que l’Europe a imaginé en ce genre, et méritant bien à Hokousaï l’appellation de maître dessinateur des fantômes. Ce sont deux apparitions de femmes mortes. L’une, c’est Kasané, la femme laide, assassinée par son mari, qu’il représente avec son front de fœtus hydrocéphale, sous la broussaille de ses cheveux, un œil fermé et l’autre grand ouvert, où est une prunelle de poisson cuit, le cartilage dénudé de son nez, ses mâchoires sans gencives, entr’ouvertes dans un hiatus allant jusqu’aux oreilles, ses deux mains de squelette rapprochées de sa tête dans le tressautement de la danse idiote d’un naturel de la Terre-de-Feu. Une apparition à faire peur, regardée le soir, à la lueur d’une lampe.

L’autre apparition a l’apparence, dans le ciel ténébreux, d’une longue et courbe et molle larve blanche, enveloppée d’une chevelure ; c’est l’âme de la petite servante Okikou. Elle était dans une maison, où il y avait dix précieuses assiettes, et elle eut le malheur d’en casser une. Et le propriétaire des assiettes adressa des reproches si durs à la fillette, qu’elle se jeta dans un puits. Or, depuis ce jour, elle revient toutes les nuits au-dessus du puits, et de la maison où est le puits et des maisons voisines, on l’entend dire, l’une après l’autre, les légendes des assiettes, puis arrivée à la dixième, à celle qu’elle a cassée, on l’entend, cette fois, pousser un sanglot si déchirant, si déchirant, que le voisinage a dû charger un prêtre de la faire monter au ciel par ses prières.

La Mangwa semble terminée en 1819, avec le dixième volume, et quinze ans se passent, sans qu’il y soit donné une suite, quand, en 1834, il paraît un onzième volume avec une préface dans laquelle Tanehiko dit : « que la Mangwa a été terminée au dixième volume, mais que les éditeurs avides ont tellement pressé notre vieillard, qu’il a consenti à reprendre son pinceau, qu’il vient de dessiner ce volume, et qu’il se propose un jour d’arriver au vingtième volume.  »

Dans ce onzième volume, toujours la variété des premiers. Des poses, des attitudes de la vie intime, des croquetons de gens assis ou en marche, de gens dans la flâne ou l’effort du travail, de gens dans le calme des passions ou les fièvres de la colère, des planches, des planches de gras lutteurs, et des petits coins de paysages, et des modèles de canons et de pistolets, et deux peintres peignant la jambe d’un Niô sculpté, d’une dimension telle qu’elle semble le tronc d’un vieux chêne, et une Japonaise disant la bonne aventure à un guerrier, en laissant, selon la méthode de là-bas, tomber son peigne à terre.

En la même année 1834, paraît le douzième volume.

Un volume très poussé à la caricature, où l’Olympe japonais est ridiculisé à outrance, un volume de chutes ridicules, de nez interminables de Téngous, sur lesquels se fait de la prestidigitation ; de silhouettes, en ombres chinoises, d’épouvantables vieilles ; de figures de femmes devenues monstrueuses, à travers une loupe posée sur leurs visages ; d’allongements de cous pendant le sommeil, qui, selon une superstition du Japon et des îles Philippines, permettent aux têtes de ces possesseurs de cous, d’aller visiter des contrées et des planètes étrangères ; de corps de naturels d’un pays, où les hommes ne sont possesseurs que d’un bras et d’une jambe, et où ils sont accotés, deux par deux.

Et même pour aider à l’antithèse des sujets qu’il offre au public ; il arrive à Hokousaï de recourir parfois à la scatologie. Ainsi, dans le onzième volume, nous voyons une Japonaise, retroussée jusqu’à la ceinture, jeter à terre un de ses compatriotes par la violence d’un pet, et dans ce douzième volume apparaît par la lucarne d’un étroit privé, le profil, péniblement contracté d’un samouraï, entre ses deux sabres remontés au-dessus de sa tête, et au dehors trois Japonais se bouchant le nez avec leurs doigts et leurs robes.

Le treizième volume paraît seulement en automne 1849, après la mort d’Hokousaï, arrivée au printemps de cette année.

Dans le treizième volume : deux beaux dessins, la divinité Kwannon sur une de ces carpes monumentales, comme seul Hokousaï sait les dessiner, et un tigre traversant une cascade, au milieu de dessins représentant, dans la montagneuse province de Hida, la passe au panier : un pont fait d’une corde, le long de laquelle on se fait glisser à la force des bras ; de dessins représentant des modèles d’habitations rustiques ; de dessins représentant la préparation de ce melon qu’on dessèche et dont on fait des soupes ; de dessins représentant le décorticage du riz.

Le quatorzième volume, tout moderne, paraît seulement en 1875, et est fabriqué avec des dessins laissés par Hokousaï après sa mort.

En dehors de quelques dessins divers, il ne contient pour ainsi dire que des animaux, des animaux réels et des animaux fantastiques ; c’est un chat mangeant une souris, un chien aboyant à la lune, un renard dans la pluie, des lions de mer, des chèvres, un écureuil mâtiné de chauve-souris, un sanglier traversant une rivière, un ours dans la neige, des ânes, des chevaux, un lion de Corée, un conciliabule de rats.

Le quinzième et dernier volume paraît en 1878, avec un avertissement, où l’éditeur dit « que propriétaire de tous les bois de la Mangwa, il a été convenu avec Hokousaï, avant sa mort, qu’on poursuivrait jusqu’au quinzième volume, et qu’il a fait graver les dessins destinés à la publication, qui ne l’étaient pas ». Mais l’éditeur ment, car la plupart des dessins qui ont une valeur, sont repris au volume intitulé : Hokousaï Gwakiô, Miroir des dessins d’Hokousaï.

Les dix premiers volumes, en leurs tirages primitifs, et lorsque les bois sont à Yédo, ont pour éditeurs trois éditeurs de cette ville et un éditeur de Nagoya ; à partir du dixième volume les bois sont cédés à l’éditeur Yeirakouya de Nagoya.

Un seul volume, le douzième, porte le nom du graveur, et ce graveur est Yégawa Tomékiti.

LE LIVRE
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Hokousaï de Edmond de Goncourt, Charpentier, 1896

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