Inattendu
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Le dictionnaire du couple franco-allemand

François Hollande et Angela Merkel se sont adressés conjointement aux députés européens. Malgré l’unité affichée, Français et Allemands ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes. Et les sources de malentendus se cachent même dans les conversations les plus banales, souligne Alphonse Allais. Dans Ne nous frappons pas, l’écrivain relaie une proposition novatrice pour améliorer la compréhension des peuples des deux côtés du Rhin. Ouvrez son dictionnaire.

 

Un de mes lecteurs m’adresse la lettre suivante que je m’empresse de publier, dans l’espoir qu’elle sera bien accueillie par tous les gens de bon sens qui me font l’honneur de me lire :

« Monsieur et honoré maître,

À qui de plus autorisé que vous pourrais-je m’adresser pour lancer un projet dont la réalisation aurait une portée incalculable au point de vue de la prononciation de la langue française par les peuples tudesques ?

Vous n’êtes pas sans avoir remarqué — observateur comme vous l’êtes — le parti pris farouche que mettent les Allemands à déformer le son de nos principales consonnes.

Dans leur bouche, le b devient un p, le d un t, l’f un v, le g un k, le j un ch, etc., etc.

Et réciproquement.

Un de mes amis, qui est Allemand, garçon de haute culture pourtant, ne dérage pas quand il vient à Paris. Au café, par exemple, quand il demande du porto, c’est un verre de bordeaux qu’on lui apporte. De même qu’au restaurant, quand il manifeste le désir de boire une bouteille de bordeaux, vite on lui livre un flacon de porto. Donne-t-il un rendez-vous à la Bodinière, les gens s’en vont l’attendre à la Potinière de l’avenue du Bois.

Le moyen de remédier à ce petit inconvénient serait bien simple, me dites-vous.

Ce serait de prendre le contre-pied de la prononciation défectueuse et, pour peu qu’on soit Allemand, d’exiger du bordeaux quand on souhaite du porto.

En théorie, vous avez raison, mais pas en pratique. Mon ami a tenté mille fois ce procédé, lequel ne lui a jamais réussi. On ne remonte pas facilement le flot de l’habitude. C’est dès le berceau, a dit Paul Leroy-Beaulieu, qu’on doit tenter de redresser le jeune arbre tortu.

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Partant de ce principe, je travaille à un dictionnaire franco-allemand dans lequel les mots français seront figurés, non pas comme on les prononce chez nous, mais on les prononce chez eux.

Le mot capitaine, par exemple, écrit dans mon dictionnaire gabidaine sera dès lors prononcé par le jeune Prussien aussi purement que par le même Batignollais.

Un dictionnaire, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Je vais (pendant que j’y suis, qu’est-ce que je risque ?) entreprendre la publication des principaux chefs-d’œuvre français transcrits ad usum des prononciateurs allemands ; par exemple : Foui, che fien tan zon dambl atoré l’Édernel, etc., etc.

Je n’insiste pas : vous avez compris.

Puis-je compter, honoré maître, sur votre si puissante vulgarisation ?

Veuillez, etc., etc.

Dr Y… »

L’idée du docteur Y… me paraît excellente, mais est-elle aussi pratique qu’il semble le croire ?

Tout est là.

LE LIVRE
LE LIVRE

Ne nous frappons pas de Alphonse Allais, La revue blanche, 1900

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