Le retour de la chimère
Publié le 7 janvier 2016. Par La rédaction de Books.
Vingt embryons cochon-humain et mouton-humain auraient été fabriqués par trois équipes de chercheurs au cours de l’année écoulée, révèle une enquête de la MIT Technology Review. Ces scientifiques auraient donc créé rien moins qu’une sorte de chimère, cet être hybride issu de plusieurs espèces qui hante la mythologie. L’animal, depuis des siècles, avait pourtant été réduit à une impossibilité, selon Jorge Luis Borges. Dans Le livre des êtres imaginaires, l’écrivain constate que ces créatures ont fini par paraître si invraisemblables qu’ils n’en est resté que l’adjectif « chimérique » : « La figure incohérente disparaît et le mot reste, pour nommer l’impossible. Idée fausse, vaine imagination, est la définition de la chimère que donne maintenant le dictionnaire », écrit Borges.
La chimère a pourtant été précisément décrite. L’Illiade en présenterait le premier portrait. Homère lui attribue le devant d’un lion, le milieu d’une chèvre et l’arrière-train d’un serpent. Elle est aussi censée cracher du feu. C’est Hésiode dans la Théogonie qui en fait un animal à trois têtes. Mais si, au Moyen-Âge, on ne doute pas de l’existence du griffon, mi-lion mi-aigle, la réalité de la chimère a été très tôt contestée. Borges remarque que Plutarque, déjà, en fait le nom d’un capitaine qui avait peint sur son bateau un lion, une chèvre et un serpent. Et à la fin du IVe siècle, Servius Honoratus y voit la métaphore d’un volcan d’Asie Mineure qui porte ce nom : « Le pied en est infesté de serpents, ses versants sont couverts de chèvres, son sommet vomit des flammes et des lions y ont leur repaire. » « Ces absurdes conjectures prouvent que déjà la chimère ennuyait les gens », conclut Borges. Mais pas les scientifiques.