Mater scandalosa
Publié dans le magazine Books n° 26, octobre 2011.
La première s’habilla en prostituée pour s’offrir à l’homme aimé. La deuxième était une prostituée et trahit son peuple. La troisième se glissa dans le lit d’un riche veuf et se fit épouser. La quatrième, adultère, commandita l’assassinat de son mari par son amant. La dernière tomba enceinte, avant le mariage, d’un enfant dont son mari n’était pas le père. Thamar de Canaa, Rahab de Jéricho, Ruth la Moabite, Bethsabée femme d’Urie le Hittite puis du roi David, et enfin Marie, mère de Jésus, sont les cinq « saintes scandaleuses » dont l’écrivain italien Erri de Luca a décidé de raconter les vies dans son dernier ouvrage…
La première s’habilla en prostituée pour s’offrir à l’homme aimé. La deuxième était une prostituée et trahit son peuple. La troisième se glissa dans le lit d’un riche veuf et se fit épouser. La quatrième, adultère, commandita l’assassinat de son mari par son amant. La dernière tomba enceinte, avant le mariage, d’un enfant dont son mari n’était pas le père. Thamar de Canaa, Rahab de Jéricho, Ruth la Moabite, Bethsabée femme d’Urie le Hittite puis du roi David, et enfin Marie, mère de Jésus, sont les cinq « saintes scandaleuses » dont l’écrivain italien Erri de Luca a décidé de raconter les vies dans son dernier ouvrage, qui figure parmi les meilleures ventes dans la Péninsule.« Leur premier point commun, rapporte Maria Tatsos dans le Elle italien, vient de ce qu’elles figurent toutes dans la généalogie du Christ. »
Grâce à sa parfaite maîtrise de l’hébreu et du grec ancien, souligne Fulvio Panzeri dans le quotidien Avvenire, Erri De Luca « relit la Bible en partant de l’évangile de Matthieu, le premier du Nouveau Testament, qu’il tient pour fondateur – au même titre que le livre de l’Exode pour les Juifs », qui s’ouvre lui aussi par une série de noms, ceux des enfants d’Israël descendus en Égypte. « De par la place qu’il occupe dans la Bible, cet évangile constitue en quelque sorte la première page du christianisme », une page stratégique, qui énumère les noms des trois séries de quatorze générations formant l’ascendance du Christ, depuis Abraham. Or, rappelle Fulvio Panzeri, « au milieu de ces généalogies masculines, Matthieu introduit les noms de cinq femmes » et rompt avec la succession patrilinéaire détaillée dans l’Ancien Testament, sans qu’on sache bien pourquoi. Pire, « trois d’entre elles sont étrangères » et ont « fait le choix d’appartenir au peuple d’Israël, d’aller contre la tradition, d’abandonner leur religion et leurs semblables pour se soumettre au Dieu unique ». Thamar, Rahab et Ruth vont toutes trois jusqu’à « transgresser la loi et briser les tabous pour pouvoir recevoir en leur sein la semence d’un homme porteur de la Bonne Nouvelle ».
Athée, mais depuis longtemps fasciné par la Bible, dont il est un grand lecteur, Erri De Luca s’est attaché dans Le sante dello scandalo à réhabiliter la force du féminin dans les Écritures, loin des interprétations machistes trop souvent retenues par le canon. « Dans l’illustre lignée du Messie, explique Erri De Luca au journaliste d’Avvenire, se sont ainsi greffées des femmes, et des femmes issues de peuples divers. L’histoire hébraïque montre que toute idée de pureté du sang est illusoire. Le Messie lui-même était métis. C’est une leçon magnifique, peu enseignée au grand public. »