Nonfiction.fr – Nations, avez-vous une âme ?

Une sociologue et critique littéraire américaine soutient que les nations sont des entités imaginaires.
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L’ouvrage Nationalisme et imagination est constitué d’une conférence éponyme, donnée au Center for Advanced Study de Sofia et suivie de questions-réponses, puis de deux entretiens plus approfondis. La chercheuse-conférencière Gayatri Chakravorty Spivak, née en 1942 en Inde, est professeure à Columbia University à New-York, où elle dirige le Center for Comparative Literature and Society. Son travail, novateur, traduit et commenté dans le monde entier, se situe au carrefour de l’histoire, de la critique littéraire, de la sociologie et de la philosophie, et croise en particulier des théories postcoloniales, marxistes et féministes. Nationalisme et imagination (2011) est le quatrième ouvrage de Spivak traduit en langue française, après Les subalternes peuvent-elles parler ? (2006), L’État global (avec Judith Butler, 2007) et En d’autres mondes, en d’autres mots. Essais de politique culturelle (2009).

Un sentiment d’impuissance

« Chères nations – tel est le message général –, vous avez été inventées comme des narrations imaginaires. Après quoi, hélas, vous avez été institutionnalisées et vous avez oublié votre origine, vous avez oublié que vous êtes imaginaires. Soyez assez aimables pour retourner dans l’imaginaire. Vous êtes des récits fictifs et, en outre, veuillez avoir l’amabilité de vous comparer entre vous. Alors vous comprendrez que vous n’êtes pas égales, vous êtes équivalentes. » Voici les termes par lesquels Alexander Kiossev, le professeur hôte, traduit, résume et conclut, non sans humour, la conférence de G.C. Spivak. Comment Spivak articule-t-elle nationalisme et imagination, en effet ? « Le nationalisme », avance-t-elle, « est le produit d’une imagination collective construite par le biais de la remémoration. » La chose nationale « négocie avec le plus privé », à savoir les circonstances de naissance, l’histoire (les mariages, les migrations, etc.), l’amour de la langue maternelle... « en vue de contrôler la sphère publique ». Or, selon elle, « ce confort de base dans sa propre langue et son propre foyer qu’évoque le nationalisme n’est pas un affect positif [;] son fonctionnement est un simple être-là. […] Quand on vous enlève ce confort, il y a un sentiment d’impuissance, une perte d’orientation, une dépendance, mais pas de chose nationale ». Comment alors sortir de cette fiction, ce recodage, que serait le nationalisme ? Par la (re)connaissance de la spécificité de chacun d’une part, et de l’équivalence inventive d’autre part, qui est au cœur de la pulsion comparatiste. Dans cette discipline qui serait à même de renforcer l’esprit démocratique, « l’équivalence s’efforce de saper la possession, l’exclusivité, l’expansionnisme isolationniste du simple nationalisme ».

Le dialogue commence ensuite, avec le public de la conférence d’abord, puis d’autres chercheurs dans le cadre de deux entretiens indépendants, enregistrés respectivement en 2003 et 2004 : cette forme de discussion est l’occasion d’aborder les autres notions chères à Spivak, mais aussi de les mettre en résonance avec l’actualité. Spivak traite ainsi notamment de questions relatives à l’éducation, au féminisme, à la psychanalyse, à la constitutionnalité, aux différentes formes de domination et au militantisme... à travers le monde. Car c’est son ancrage dans le réel, pour ne pas dire les réels, qui confère à la grille de lecture qu’il propose sa force et sa justesse : l’identité coloniale et postcoloniale en Inde, l’identité balkanique, et, plus généralement, la tension entre régionalisme, États nations, Union Européenne et/ou mondialisation.

Un bémol éditorial : si la forme de l’entretien permet de dérouler et discuter les différents outils de travail et théories de Spivak, et d’en percevoir l’indéniable diversité en même temps que leur articulation brillante, elle suppose du lecteur, pour son confort de lecture, une connaissance préalable des recherches de l’auteur ; pourquoi, dès lors, éditer dans le même volume une conférence sur un sujet défini et deux entretiens sur des thématiques plus vastes ?

LE LIVRE
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Nationalisme et Imagination, Payot

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