Phallologie arctique
Publié en juin 2016. Par Jean Louis de Montesquiou – L’insolite des voyages.
La légende veut qu'on s'ennuie ferme en Islande. Une légende trompeuse, comme toutes les légendes, mais qui a le mérite d'expliquer qu'un enseignant du cru ait pu consacrer presque l'essentiel de sa vie à la création d'un Musée du Phallus, plus précisément le « Phallological Museum », aujourd'hui sis en plein centre de Reykjavik.
Sigurdhur Hjartason avait commencé sa collection à l'adolescence avec un phallus de bœuf transformé en fouet, cadeau d'un camarade. Au fil des années, celle-ci s'est enrichie des dons de ses compatriotes, vite avisés - en Islande on se connaît facilement - de cette collectionnite insolite, qu'on pourrait appeler la « phallophilie ». « Je n'aimais pas collectionner les timbres-poste », se justifie Sigurdhur Hjartason. (Il faut noter que Sigmund Freud collectionnait pour sa part, les amulettes en forme de pénis).
Aujourd’hui, le spicilège de Sigurdhur Hjartason comporte presque 300 spécimens de pénis d'une centaine d’animaux, allant de l’organe pratiquement invisible du hamster à celui de la baleine bleue, dont la partie extérieure fait 1,70 m (photo), en passant par celui du renard arctique, du renne, de l’éléphant, du globicéphale. Esthétiquement, cet amalgame de viscères ratatinés macérant dans des bocaux de liquide trouble n'est pas franchement affriolant. Heureusement, le musée expose aussi quelques objets de meilleur goût comme des lampes phalliques avec abat-jour en peau de testicule de bélier, une moulure des pénis (non identifiés) de l’équipe islandaise de hand-ball, un nœud papillon en prépuce de marsouin, et de jolis dessins offerts les camarades d'école des petits-enfants du fondateur. L’ensemble ne cesse d'enfler en taille et en notoriété car, comme dit Sigurdhur Hjartason, « on trouve toujours quelque chose de mieux, de plus récent, de plus gros ».
Le musée possède désormais un spécimen de pénis de tous les 46 mammifères islandais. Tous ? Oui tous, même l’homme. Un Islandais du nord du pays, très fier de son appareil génital qu'il avait intensément utilisé, l’a en effet légué au musée qui en a pris possession au décès du porteur en 2011. Hélas, la taxidermie un peu expérimentale, exécutée par Sigurdhur Hjartason lui-même, n’a pas vraiment rendu justice à la majesté de l’objet. Sigurdhur Hjartason proteste qu'il fera mieux la prochaine fois. Et il y aura effectivement une prochaine fois, car les donateurs se bousculent. Notamment cet Américain doté d'un pénis d'une taille exemplaire, qu'il a d’ores et déjà amplement décoré (huit tatouages, dont le drapeau américain), remanié chirurgicalement, et célébré en lui consacrant notamment une BD (l'homme est tellement impatient de voir son anatomie exposée sous verre qu'il a envisagé de se séparer de son pénis, surnommé Elmo, de son vivant).
Après un tour en province, le Phallogical Museum est revenu à Reykjavik, où il a désormais pignon sur la principale rue commerciale (il était question de le loger dans un bâtiment en forme de pénis, mais la municipalité a reculé). Le musée accueille 11 000 visiteurs par an, qui ne savent pas très bien à quoi s'en tenir : s'agit-il d'une blague, ou, comme le proclame la brochure du musée « d'un projet scientifique visant à étudier le phallus d'une façon systématique et scientifique » ?
Difficile de trancher, surtout quand Sigurdhur Hjartason lui-même déclare que l'on ne peut pas apprécier son musée « si l'on n'a pas un Q.I. humoristique supérieur à la moyenne ». Et la traduction française de la littérature proposée au musée ne permet pas vraiment de clarifier le débat. On peut en effet y lire que la phallologie est « une jeune science », et non pas un « appendice » des sciences humaines. Et que le très officiel Institut Islandais de Phallologie a décerné à Sigurdhur Hjartason le titre de « membre énorme ». La municipalité de Reykjavik n'a pas l'air non plus bien fixée sur la question : elle a certes octroyé une subvention, mais d'une taille plutôt modeste.
Ce qui est certain, c'est que ce musée, à défaut d'héberger de la science de haut vol, constitue en lui-même un objet d’étude sur la sociologie et l'histoire culturelle islandaise. L'Islande semble en effet avoir toujours eu une relation spéciale au pénis. Le phallus est omniprésent dans les sagas; et jusqu'au XIXe siècle, les hommes portaient des pantalons qui mettaient les avantages masculins spécifiquement en avant. Même la prestigieuse langue islandaise – le latin de la Scandinavie - octroie une place toute particulière à l’organe masculin, dont le nom se rattache à une racine très riche (redhur), ce qui, complexités lexicales et grammaticales aidant, permet une infinité de jeux de mots. Le vocabulaire génital imprègne même particulièrement le jargon financier : la compétition entre jeunes loups de la banque (qui a provoqué la quasi-faillite du pays en 2008) c'est le « typpakeppni », « concours de longueur de zizi »; et pour dire familièrement « portefeuille », on a le choix en islandais entre « scrotum » ou « vagin ». Le pénis est aussi très visible dans l’architecture islandaise : le pays possède quelques églises manifestement phalliques, ainsi qu’un supermarché dont la photo aérienne serait illico éliminée de Facebook (ce supermarché pénien a hélas fait faillite, d'où une avalanche de blagues dans la presse islandaise).
À l'international, on n'a pas mieux clarifié la question de savoir si ce musée est du lard ou du cochon. Le South China Morning Post s’étonne qu'un pays comme l'Islande, « jouissant d’une grande réputation intellectuelle et possédant une proportion inégalée de poètes, d'imprimeries et de lecteurs per capita » ait pu se doter d'une institution aussi extravagante. Mais « dans un pays où le requin pourri et les testicules de bélier sont des mets de choix, et où une portion conséquente de la population croit aux elfes et aux trolls, une attraction de ce genre ne constitue pas une vraie surprise », rétorque Laura Lee dans USA Today. Wittgenstein devrait mettre tout le monde d’accord : « Si on ne faisait pas de temps en temps des choses stupides, rien d’intelligent ne se ferait jamais » – mais il ne pensait certainement pas au Musée du Phallus.
