Retour vers le futur ou refonte de l’éducation ?

Rythmes scolaires, évaluation des élèves, formation des enseignants... Comme tout bon nouveau président de la République, François Hollande va devoir s’atteler au dossier de l’éducation. Éric Dugas, maître de conférences à l’université Paris Descartes, expose les principaux enjeux. (Lire cet article sur Le Plus)

L’Éducation est au cœur des débats, les politiques éducatives françaises sont tantôt décriées avec force, tantôt défendues bec et ongles. En pleine effervescence politique, entre une élection présidentielle achevée et les futures législatives, les idées sur les orientations à suivre vont bon train.

Pourtant en surface, les politiques éducatives en France, menées depuis quelques années, ne se démarquent pas trop des autres modèles. Comme l’avait écrit Nathalie Mons en 2007, à l’instar des pays dits développés et émergents, « la décentralisation, l’individualisation de l’enseignement, et le libre choix de l’école » semblent, peu ou prou, être des orientations partagées.

Mais des moyens pluriels, hétérogènes, hybrides s’essayent déjà ou se profilent pour atteindre ces résolutions. Dans un monde pluriel, où l’homme est pluriel (Bernard Lahire), il existe une multiplicité d’initiatives, de décisions, voire de microdécisions, allant du global au local (jusqu’à la particularité de l’école d’un quartier). Les études comparatistes nationales et internationales sont alors un bon baromètre des tendances actuelles et surtout de ce qui fonctionne… ou pas. Mais ce qui est appliqué ailleurs ne se plaque pas ipso facto dans la réalité de la culture et de la société d’accueils. Ainsi ne faut-il pas confondre un modèle importé avec des idées inspiratrices.

Une France très moyenne

Les « propositions » fusent actuellement chez nos hommes politiques : plus d’enseignants, plus d’heures travaillées, etc. Certes, et donc ? Que faire ? Alors que la violence scolaire - dont les micro-violences, ajouterait volontiers Éric Debarbieux - crée une atmosphère tendue qui est englobée, voire engluée, par une course scolaire (François Dubet), véritable compétition classante.

De plus, au regard d’une formation initiale universitaire qui envoie actuellement les enseignants dans le grand bain sans avoir appris réellement à nager, la coupe semble pleine. Cerise sur le gâteau, les enquêtes de l’OCDE (2009) classent la France dans les dernières places (22ème parmi 25 pays recensés) concernant la qualité de vie à l’école. Et sur le plan du stress ressenti par les élèves, elle est à la deuxième place derrière le Japon.

L’enquête de 2009 révèle aussi que le taux des meilleurs élèves augmente en France… Au détriment de ceux en difficulté ? Pour ne pas verser dans le catastrophisme, nous sommes placés dans le ventre mou de ce classement international ; on peut faire mieux, mais on pouvait faire aussi moins bien. Faut-il envier les premières places du Japon et de la Corée pour le bien-être de notre jeunesse ?

Les formules de réussite

Dans ces conditions, comment réussir le bien-devenir de notre jeunesse ? Bien sûr, il n’existe pas une réponse miracle, mais des réponses.

Les responsables du système scolaire doivent alors s’attacher à appréhender une équation simple et complexe à la fois - inspirée de celle du célèbre psycho-sociologue Kurt Lewin - pour faciliter le « métier d’élève » : CE = f (P x S). La conduite de l’élève (CE) est fonction de sa personne (P) et de la situation (S : tant sur le plan politique, économique, culturel, sociétal, etc., que sur celui des individus en interaction dynamique (enfants, parents, enseignants, institutionnels, etc.). Et ce pour permettre de viser la réussite de tous, ou plutôt la réussite de chacun. Car il n’existe pas une réussite, mais des réussites plurielles.

Si plusieurs facteurs s’articulent de façon interdépendante - le tout est plus que la somme des parties que le composent - la formation (initiale et continue) des enseignants est un élément fort, parmi d’autres, à considérer et à transformer dans le cadre des prochaines politiques éducatives.

La formation des enseignants, élément capital

Amener les futurs enseignants vers plus d’études n’est pas dénué d’intérêt (jusqu’au diplôme du Master 2), sauf que la mastérisation ainsi conduite a penché fortement vers le « hors contexte » : le métier d’enseignant s’apprend actuellement dans une formation trop théorique, de l’abstrait vers le concret, qui plus est, ponctuée par un concours. Et ce concret arrive brutalement. Exit donc, l’année de formation professionnelle post-concours (« rémunérante » pour les futurs enseignants).

Ce qui est gagné sur le plan économique par l’État est perdu sur le plan de la qualité de la professionnalisation des futurs enseignants. Et le suivi d’aide à l’enseignant débutant (quand il existe!), par un professeur référent ou un maître formateur, n’est qu’un pansement sur une jambe de bois : entre deux cours, le midi, après les cours, de façon ponctuelle ? Bref, la réalité économique a pris le pas…

Effectivement, comment à la suite d’une formation in vitro, un enseignant est-il capable d’enseigner in vivo, c’est-à-dire d’enseigner dans une classe face à des élèves ? Cela s’apprend aussi sur le terrain ! Par analogie, certains pourraient énoncer qu’autrefois on apprenait bien les techniques corporelles de nage sur un tabouret sans pour autant se noyer par la suite ! Mais les avancées de la connaissance ont fait évoluer les choses depuis. Tout autant, il ne faut pas réduire la professionnalisation à une série n de stages. Il s’agit plutôt d’une alternance « terrain/théorie et réflexivité » (pour faire court) qui s’enrichit de façon circulaire et non pas linéaire (dans un sens ou dans l’autre).

De surcroît, le paradoxe est porté à son paroxysme quand on sait que la formation initiale est sanctionnée par un concours et non pas par un examen. La nuance est d’importance. Les étudiants, comme les enseignants des masters, sont en plein dilemme : conjuguer une formation professionnalisante tout en préparant les étudiants à la réussite du concours avec au passage l’obtention d’un diplôme universitaire en poche. On est placé dans une situation d’entre-deux perpétuel. De fait, et c’est une lapalissade, la stratégie rationnelle, gagnante et optimale pour les étudiants en devenir est dès lors de privilégier l’obtention du concours, en se fondant sur les normes et standards de ce dernier, au détriment du métier d’enseignant. Celui-ci n’existant qu’avec la réussite du précédent.

Pour une école ouverte

Le métier d’enseignant s’apprend donc dans toutes les facettes qui le composent : la connaissance de différents contextes (milieux socioculturels variés, urbain ou rural, autres secteurs de formation, etc.), les relations aux autres (élèves, parents, enseignants, acteurs locaux, etc.), et bien sûr la mise en œuvre didactique et pédagogique de situations d’apprentissage. Bref, comprendre l’École et tous ses rouages en privilégiant l’adaptabilité (s’adapter à s’adapter) plus que l’adaptation. Or, le métier d’enseignant ne s’apprend pas en quelques mois, mais tout au long de la vie. Ce qui suppose de bien organiser la formation initiale sans négliger la formation continue si peu suivie comme le constate, entre autres, Philippe Meirieu.

Je terminerai sur le fait que les politiques éducatives ne peuvent se dessiner sans la contribution effective des usagers qui sont sur le terrain pour une école ouverte et non refermée sur elle-même : élèves, enseignants, directeurs, et tout intervenant professionnel, sans omettre non plus les parents, des partenaires potentiels peu sollicités alors que bon nombre d’études internationales révèlent que leur implication est un plus dans le « bien-vivre » de l’école.

À l’instar des hôpitaux où le(s) savoirs(s) n’étai(en)t réservé(s) qu’aux « blouses blanches », la loi Kouchner (4 mars 2002) - souhaitant répondre en partie aux revendications des usagers et des associations - a permis aux malades (et leurs proches) de (re)trouver leur place de citoyen dans l’hôpital (en étant partie prenante de leur prise en charge et acteurs dans leur maladie sans être réduits à un malade passif), tout en les associant à la réflexion sur les politiques de santé.

Par ailleurs, des patients partenaires formés (programme « Patients partenaires ») ou patients-formateurs, experts de leur maladie (sous divers angles) participent - sous l’œil bienveillant de certains professeurs - à la formation des étudiants en médecine.

Cette petite « révolution » dans le cadre médical peut servir d’exemple pour l’orientation des politiques éducatives et de leur efficacité. À l’impossible nul n’est tenu…

Éric Dugas

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