To be or not to be…

À la une du site Sortir à Paris, le 29 novembre dernier : The Power of the Dog, de Jane Campion. Sauf que, pour le voir, inutile de sortir de chez soi ! La réalisatrice néo-zélandaise avait passé un contrat d’exclusivité avec Netflix, qui annonçait pour le 1er décembre la sortie mondiale du film sur sa plateforme de streaming, réservée à ses 214 millions d’abonnés. Omar Sy, le brillant acteur d’Intouchables et de la série Lupin, diffusée par Netflix, venait, lui, de signer avec la plateforme un contrat pluriannuel d’exclusivité estimé à 15 millions de dollars. Autrement dit, les meilleurs producteurs et les meilleurs acteurs sont désormais achetables par une industrie qui permet de ne pas aller au cinéma.

C’est la fin d’une époque, et le début d’une autre. Est-ce pour autant la fin du cinéma ? Bien sûr que non, si par « cinéma » on entend le septième art. En quoi The Power of the Dog n’est-il pas du cinéma, et du bon, et en quoi le fait de le diffuser d’emblée à 214 millions de personnes serait-il un mauvais coup asséné au septième art ? Réagissant à une jérémiade de Martin Scorsese parue récemment dans Harper’s, qui exploitait l’exemple de Fellini pour dire que le cinéma, désormais acculé à servir les goûts d’une demande mondiale, est « réduit à son plus petit dénominateur commun », un lecteur lui faisait observer qu’il avouait lui-même avoir vu pour la première fois La Strada à la télévision. Mis à part les superprivilégiés qui habitent Paris, ville sans égale, beaucoup d’entre nous n’ont pas une salle de cinéma au coin de leur rue et sont heureux de pouvoir regarder chez eux à peu près tous les films produits depuis les frères Lumière. D’autre part, les blockbusters n’ont pas attendu le streaming pour user des ressorts du « plus petit dénominateur commun ». Si l’on se place du point de vue des pratiques culturelles, avec en tête l’idée que la mauvaise culture, comme la mauvaise monnaie, risque de chasser la bonne, la question de l’avenir du cinéma se résume en fait à deux préoccupations de nature toute différente. La première est de savoir si les plateformes de streaming, qui se multiplient (Amazon, Disney et Apple sont dans la course), vont porter atteinte à la production de films dits d’auteur, de films originaux destinés à un public exigeant. La réponse est moins évidente que semble le penser Scorsese, car la demande exercée par le public « cinéphile » n’est nullement négligeable, surtout à l’international, et aussi parce que les États sont en mesure de négocier avec les plateformes pour qu’elles contribuent à financer les productions locales. La seconde question est de savoir si les jours du cinéma projeté en salles sont comptés. Il me manque une boule de cristal, mais je suis tenté de penser que là aussi la demande, celle qui est induite par le plaisir de sortir de chez soi pour se concentrer sur un spectacle diffusé sur grand écran, en compagnie d’inconnus, dans un lieu épargné par les odeurs de cuisine et protégé de la tentation du portable, va trouver sa place dans les différents canaux de la demande globale. 

Olivier Postel-Vinay

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