Une élection sans candidat
L'assemblée nationale, par James Gillray
Après deux tours de scrutin, les Républicains ont choisi leur candidat pour l’élection présidentielle. L’exercice de la primaire est assez nouveau en France, même si on peut en trouver une ébauche dans les discussions de la Constitution de 1793. Plusieurs propositions avancent alors l’idée d’un scrutin préparatoire pour établir une liste de candidats qui serait présentée lors du scrutin définitif. Ces suggestions ne seront pas suivies. Mais il faut dire qu’à l’époque, les élections se déroulaient sans candidat. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, précise l’historien Malcolm Crook dans Elections in the French Revolution, le candidat moderne n’existe pas en France. Se porter candidat, c’est même l’assurance de ne pas être élu. Dans l’esprit de la Révolution, l’élection doit être l’expression de la volonté générale. Une campagne électorale avec ses inévitables divisions et discordes gâcherait cette unité. Le futur élu est dans l’imaginaire de cette époque un personnage idéal qui sera forcément reconnu parce qu’il convient parfaitement au poste, et qui doit donc refuser de se mettre en avant.
Les électeurs votent donc au petit bonheur, ce qui pose de nombreux problèmes. A commencer par la dispersion des voix. Lors des élections municipales de 1790 à Toulon, par exemple, presque tous les électeurs citent leur propre nom. De manière générale, les deux premiers tours de scrutin sont inutiles. L’élu est choisi au troisième tour et grâce à une poignée de voix seulement. La personne désignée refuse bien souvent de prendre ses fonctions, ouvrant la voie à un nouveau scrutin. La première République fera une expérience très limitée des déclarations de candidature en l’an V, mais reviendra dès l’année suivante à l’ancien système. Tout au long du XIXe siècle, la candidature reste tantôt totalement libre, tantôt accaparée de manière plus ou moins officielle. La dictature bonapartiste réduit ainsi le processus électoral à une farce : le choix des listes de notables, ou de “candidats”, est une prérogative du chef de l’État.