Whoonga

Les quartiers pauvres d’Afrique du Sud sont aux prises avec une véritable épidémie de whoonga, une drogue particulièrement dangereuse apparue vers 2010. Un mythe malheureusement bien ancré est que la drogue est d’autant plus efficace qu’elle contient des médicaments antirétroviraux. Il s’en suit un marché noir qui prive de nombreux malades du sida de la prise régulière de leur médicament. Selon les responsables sud-africains, le whoonga est un cocktail à contenu variable avec pour base une faible dose d’héroïne et des doses plus substantielles de mort aux rats et de détergents . La drogue, qui se fume, est très bon marché. Les dealers séduisent aisément les adolescents d’âge scolaire, garçons et filles. A l’euphorie succède l’effet des poisons, très pénible : le jeune est conduit à rechercher rapidement une autre dose. Il se fait sous-traitant des dealers dans les établissements scolaires. La criminalité explose. Des filles se prostituent et certaines d’entre elles tombent aux mains de marchands d’esclaves qui les exportent vers des pays étrangers. Pendant ce temps, en Angleterre et ailleurs dans les pays riches, les autorités s’inquiètent de voir monter la préférence des consommateurs pour une héroïne de plus de plus pure, donc plus puissante. En Russie, le problème posé par la drogue est jugé tel que Poutine demande à l’ONU d’organiser le largage d’herbicides par avion sur les champs de pavot en Afghanistan, de loin le premier producteur mondial. De fait, les surfaces cultivées en pavot à opium ont atteint un record historique dans ce pays en 2014. L’argument principal en faveur de la libéralisation du marché des drogues dures est que la prohibition fait le jeu des trafiquants, mafias et cartels, dont la puissance alimente les autres commerces illicites et contribue à déstabiliser Etats et relations internationales. L’argument majeur des opposants à la libéralisation est qu’elle risque de doper la consommation : d’après eux, si l’héroïne devient aussi facile d’accès que l’alcool, autre drogue dure, les ravages de l’héroïnomanie pourraient rejoindre en ampleur ceux de l’alcoolisme. Comme souvent, le débat politique néglige la possibilité d’intervention d’autres facteurs, susceptibles de changer la donne. Le progrès technique, par exemple. Il poursuit son petit bonhomme de chemin, le diable. Et voilà : des chercheurs américains et canadiens ont annoncé avoir découvert le moyen de fabriquer de l’héroïne à partir de levure de bière. Il sera bientôt possible d’en produire dans son garage, sans pavot. Presque aussi simple que pour la marijuana ! Avant de rendre publics leurs résultats, les scientifiques avaient pris soin de solliciter des collègues spécialisés en santé publique. Ceux-ci ont aussitôt conçu une batterie de mesures souhaitables, publiées dans Nature.   Objectif : compliquer l’accès à la technologie afin d’empêcher, comme ils le disent, « d’accroître considérablement l’accès du grand public aux opiacés » - lesquels affectent déjà, selon eux, seize millions d’usagers dans le monde. La crainte exprimée par ces spécialistes est de voir des criminels assimiler le nouveau savoir-faire et inonder le marché avec de l’héroïne pure à bas prix. Mais, fait remarquer The Economist, la production locale d’héroïne, si elle se confirme, signe peut-être la fin du marché international de l’opium. Les syndicats du crime devraient « trembler dans leurs bottes », écrit l’hebdomadaire. Sablons le champagne, donc. Quoi qu’il en soit, tant la vogue du whoonga en Afrique du Sud que ce progrès inattendu de la technique illustre le caractère simplificateur de l’opposition entre libéralisation et prohibition. La complexité des évolutions sur le terrain se moque des grands principes. La prohibition est un échec, soit. Mais savons-nous de ce que donnerait la légalisation ? Ses partisans citent volontiers John Stuart Mill, qui défendait le commerce de l’opium. A le lire, il faut laisser les adultes libres de se shooter s’ils en ont envie. Qu’aurait-il pensé, en voyant les adolescents se laisser prendre dans les rets des dealers ? En son temps il n’existait rien de tel. Le chantre du libéralisme soutenait aussi que les pères qui abandonnent leurs enfants devraient être condamnés aux travaux forcés. C’est peut-être une piste : laisser les adultes tranquilles, quand ils ne nuisent pas aux plus jeunes. Olivier Postel-Vinay Ce texte est paru dans Libération le 10 juin 2015.

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