Le bonheur et l’argent (fin)

Dans une de ses dernières nouvelles, Somerset Maugham  raconte l’histoire d’un très vieux milliardaire ne vivant plus que pour le poker, qui réalise un jour qu’il n’y voit plus assez pour jouer convenablement, et décide aussitôt d’arrêter. « Maintenant, dit-il à son partenaire, il ne me reste plus qu’une chose dans la vie : la philanthropie ! »

La philanthropie serait-elle donc la grande consolation des milliardaires vieillissants ? En tout cas, elle constitue, aux États-Unis du moins, la grande réponse à cette question qui semble souvent les préoccuper : comment éviter que les fortunes par eux amassées, dans la joie et l’effort, ne deviennent, dans les mains de ceux qui en ont passivement hérité, des causes de dérives et de dépression ? Les membres du « lucky sperm club » (club des spermatozoïdes chanceux), selon la belle formule de Warren Buffet, ont en effet tendance à mener « des vies sans but véritable et moroses ».

Cette vision américaine qui glorifie la création d’argent et en fustige la transmission n’est pas nouvelle. Son grand théoricien, Andrew Carnegie, en avait déjà formalisé la doctrine en 1890 : il ne faut pas mourir riche – il faut donner sa fortune de son vivant, ou plutôt la « restituer » à la société – et c’est le donateur lui-même, et surtout pas l’État, qui doit redéployer ses talents et son énergie pour investir cet argent au meilleur escient social. Tous n’en sont d’ailleurs pas capables : Warren Buffett, qui s’estime plus doué pour gagner de l’argent que pour le dépenser, a confié l’investissement de sa colossale donation aux époux Gates.

La pauvreté, un atout compétitif

La philanthropie procure en fait un double avantage. Elle sanctifie la création de fortune, ou du moins l’absout, comme l’expliquait Margaret Thatcher dans un discours à l’Église d’Écosse, en 1988 : « Ce n’est pas la création de richesse qui est  mauvaise, mais l’amour de l’argent pour lui-même. La dimension spirituelle intervient dans la décision de ce que l’on fait son argent. » Opportune distinction, qui permet à des gens comme Andrew Carnegie, premier roi de l’acier américain, l’homme le plus riche de son temps, qui avait fait tirer sur ses ouvriers en grève, de survivre dans nos mémoires en bienfaiteur.

Par ailleurs, les donations philanthropiques permettent aussi de conférer à sa propre progéniture « les avantages de la pauvreté », comme disait encore Carnegie. Né pauvre lui-même, il jugeait que la pauvreté était un atout compétitif majeur, dont il ne fallait surtout pas priver ses enfants en en faisant de riches héritiers. Buffett, lui, suggère pratiquement de ne léguer à sa progéniture « qu’assez d’argent pour pouvoir faire quelque chose, et pas assez pour pouvoir ne rien faire ».

Beaucoup de tycoons, américains notamment, sont sur la même ligne ; par exemple les signataires d’une protestation, en 2007, contre la suppression des droits de succession aux États-Unis. Buffett était bien sûr du nombre, avec cet argument puissant : transmettre la suprématie économique par héritage, cela revient à « sélectionner l’équipe olympique de 2020 en prenant les enfants des médaillés de 2000 » ! 

LE LIVRE
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L’Évangile de la richesse, Signet Classics

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