Zoom sur quelques tribus d’Afrique

Les tribus me fascinent. Les Africains que je questionne souvent sur ce sujet semblent toujours surpris, et peut-être même gênés, de cet étrange intérêt. Je dois leur expliquer que dans les contrées où je vis, nous avons des familles, des nations, des religions, des minorités – bref, largement de quoi nous déchiqueter –, mais que nous avons perdu depuis des siècles la dimension tribale, et toute ses implications culturelles, politiques, sociologiques, linguistiques, religieuses, rituelles, économiques, culinaires, et que sais-je encore…

Il y a peut-être 3 000 tribus en Afrique. Comme il faut bien choisir, voici d’abord les Bagandas, 6 millions de personnes, qui occupent une vaste portion du sud de l’Ouganda, entre le lac Victoria et le Nil. À vrai dire, il s’agit plus d’une nation, très organisée, dont le territoire était déjà traversé de belles routes rectilignes avant la colonisation. Les Bagandas ont un roi, le Kabaka, et des institutions qui dupliquent exactement celle de l’État ougandais, ce qui provoque des difficultés récurrentes (ainsi, les émeutes qui eurent lieu à l’occasion des récentes élections). Du haut de sa colline à Kampala, Mungo Hill, le Kabaka toise avec méfiance le gouvernement civil du président Musuveni, établi sur une colline voisine. Sur une autre colline, face au palais royal, siège le Lukiiko, le Parlement du peuple Baganda, dans un bâtiment qui est la parfaite réplique tropicale de Westminster, avec même un Speaker en perruque poudrée. Le gouvernement civil ougandais parle avec dédain « d’institutions culturelles ». Mais Kadhafi, perpétuel fauteur de troubles, ne ménageait pas son soutien à ces royautés africaines dont il se prétendait le représentant suprême.

 Himbas_JLM

À l’autre extrême du spectre, et au sud du continent, la Namibie offre un éventail de tribus petites, mal loties, mais encore bien ancrées dans de fortes traditions et des modes de vie immémoriaux. Ce sont d’abord les tribus « d’origine », présentes dans la région avant que les Bantous n’aient commencé à déferler depuis l’équateur, il y a cinq ou sept millénaires : les Sans (Bushmen), et leurs cousins Namas. Ceux-ci se perçoivent comme les ancêtres de l’Afrique, et peut-être même de l’humanité.

Une langue originelle de l’humanité

Ils parlent une des fameuses langues à clic, qui utilisent, en plus des sons usuels du langage, plusieurs dizaines de phonèmes formés non par la langue mais avec les lèvres, les dents, le nez, les joues, le palais, la gorge – claquements, sifflements, succions, aspirations ou expectorations diverses. On a pu récemment montrer, génétique à l’appui, que ces curieux bruits de bouche seraient la trace d’une langue originelle de l’humanité, celle des chasseurs du néolithique qui voulaient communiquer entre eux sans effaroucher le gibier, et dont seuls les derniers chasseurs-cueilleurs d’Afrique auraient gardé l’usage. Les Bushmen, jugés impropres au travail et à la colonisation, ont frôlé l’extermination (un ami anglais a retrouvé, dans les papiers de son arrière-grand-père, un permis pour une campagne de chasse en Afrique du Sud : entre les kudus et les buffles, figurait l’autorisation de tuer deux bushmen). Aujourd’hui, sédentarisés de force dans les recoins les moins propices du Botswana, d’Afrique du Sud, de Namibie ou d’Angola, les Sans et leurs semblables végètent...

Les Namas, et les Hereros, les deux grandes tribus namibiennes historiques, ont elles aussi côtoyé l’extinction : elles ont fait l’objet d’un proto-génocide allemand au début du XXe siècle, sorte de répétition générale avec camps de concentration et d’extermination par le travail (lire Books n° 20). Aujourd’hui, marginales dans leur propre pays, ces deux tribus défendent laborieusement leurs traditions et leurs droits ancestraux.

Impossible de quitter ce florilège namibien sans mentionner une branche des Hereros qui occupe la zone nord-est du pays et sud de l’Angola : les Himbas (photo), célèbres pour leur vie pastorale et leurs habitudes vestimentaires. Alors que les femmes Hereros sont généralement coiffées majestueusement de cornes de vaches en tissu et vêtues d’amples robes colorées, leurs cousines Himbas vont à peu près nues, leur corps spectaculaire enduit d’un mélange d’ocre et de beurre, seyant mais très odorant. Elles passent des heures à s’apprêter, mais le résultat est là.

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