Pas de retraite pour les artistes
Cézanne, Autoportrait au béret.
61 ans et demi, voilà l’âge idéal pour partir à la retraite aux yeux de la majorité des Français, selon un sondage récent. Réalisé auprès de créateurs, aurait-il donné le même résultat ? Pas sûr. Car le style d’un artiste continue souvent de s’épanouir à la soixantaine passée. Si Monet avait pris sa retraite, nous ne pourrions admirer aujourd’hui les panneaux décoratifs des Nymphéas à l’Orangerie, réalisés par un peintre septuagénaire. Dans Lastingness, l’écrivain Nicholas Delbanco s’intéresse à ces créateurs qui continuent d’innover malgré les atteintes du grand âge. A moins que ce ne soit grâce à elles. Le violoncelliste Pablo Casals a ainsi progressivement abandonné sa carrière de soliste, trop éprouvante physiquement, pour se consacrer à la direction d’orchestre et à la composition. Il est resté actif et productif jusqu’à sa mort, à 97 ans. Monet, lui, a fait de la cataracte qui affectait sa vue à partir de 1909 une source de créativité. Cloîtré à Giverny, il s’est alors concentré sur son jardin pour produire ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre, le décor mural des Nymphéas. Cet épanouissement ne doit rien au hasard, selon Delbanco. Au fil du temps, l’artiste reconnu, affranchi du regard des autres et de la nécessité de vendre, peut se concentrer davantage sur le processus de création. Il s’adonne tout à sa recherche, et peut s’autoriser une épure qui, dans le cas de Monet, confine dans ses dernières œuvres à l’abstraction. Dans Old Masters and Young Geniuses, l’universitaire David Galenson constate lui aussi l’importance de la recherche chez l’artiste vieillissant, mais il y voit plutôt la marque de fabrique de cette catégorie singulière que sont les génies tardifs, ceux qui ne connaissent le succès qu’après leur prime jeunesse, comme Cézanne (témoin son Portrait d’Ambroise Vollard, peint à 60 ans). Ayant dû travailler longtemps pour affiner leur style, ils ont une conception expérimentale de l’art, faite de longues recherches, d’essais et d’erreurs. Ces vieux génies sont l’antithèse des jeunes prodiges : Picasso, auréolé de gloire dès ses 20 ans, est un artiste « conceptuel », selon Galenson. Il a une idée claire du résultat qu’il souhaite obtenir et l’exécute. « J’ai vraiment du mal à comprendre l’importance donnée au mot “recherche”, confia-t-il d’ailleurs à l’artiste Marius de Zayas. À mon avis, chercher ne veut rien dire en peinture. C’est trouver qui compte. Je n’ai jamais fait d’essais ou d’expériences. »
En savoir plus : Jeunes prodiges et vieux génies, Books, septembre 2009.