L’abolition de l’esclavage : une affaire très rentable

Bref voyage en Afrique du Sud, fascinant pays qui est une sorte de boule magique où se révèle non seulement notre futur, mais aussi, dans un éclairage très particulier, notre passé. L'occasion de visiter la République sud-africaine, mais aussi de revisiter, comme on dit, quelques idées reçues. Celle-ci par exemple : l'abolition de l'esclavage par l'Angleterre est un acte noble et généreux, inspiré par le plus respectable des humanismes. Vue à travers le prisme sud-africain, l'image paraît sensiblement différente.

En 1807, l'Angleterre est la première nation d’Europe à décrèter l'interdiction universelle du commerce triangulaire. Ceci sous les coups de boutoir de la première campagne d'opinion publique de l'histoire moderne qui a culminé avec le fameux boycott du sucre colonial. L'esclavage proprement dit ne sera définitivement aboli qu'en 1834 – encore une fois avant les autres pays.

Pourquoi l'Angleterre a-t-elle donc mis volontairement fin à ce commerce, qu'elle dominait complètement, et dont les marges fabuleuses (200 % !) lui ont permis d'accumuler le capital qui a financé la révolution industrielle ? Plusieurs raisons, pas toutes nobles.

Primo, les révoltes d'esclaves à Saint-Domingue ont provoqué à Londres une panique. Si des esclaves importés pouvaient causer un tel grabuge dans une île entièrement dominée par les blancs, que serait-ce dans un pays comme l'Afrique du Sud, en plein continent africain, où le pouvoir des colons était bien mal assuré ?

Deuzio, en sacrifiant le commerce triangulaire, puis l'esclavage lui-même, l'Angleterre pénalisait ses concurrents bien plus qu'elle-même, car son propre essor industriel l'avait rendue moins dépendante des revenus de ses colonies que les autres pays d'Europe. Idem à l'intérieur même de la colonie d'Afrique du Sud : l'abolition de l'esclavage a surtout pénalisé les boers, flamands rétrogrades, têtus et hostiles ; c'est ce qui les a conduits à quitter en masse la région du Cap pour le veld, au grand plaisir des Britishs.

Tertio, les colons anglais – principalement en Afrique du Sud – avaient étudié les chiffres et constaté que l'esclavage était un système bourré d'effets économiques pervers, car il favorisait surtout les entrepreneurs les moins sophistiqués. Plutôt que d'importer à grand prix des Asiatiques en Afrique du Sud, il était en fait plus intelligent d'encourager les esclaves qui étaient déjà sur place à se reproduire, ce qui supposait la création de conditions adéquates. C'est ainsi qu'a été mis en place le système des « hutted slaves », ce qu'on pourrait appeler « l'esclavage résidentiel », une amélioration à vrai dire marginale du sort des malheureux.

Mieux encore : les sagaces colons de la colonie du Cap se sont ensuite rapidement rendu compte qu'il leur était moins avantageux d'acheter puis d'entretenir à vie des travailleurs étrangers, moyennement productifs et potentiellement dangereux, que de faire jouer le marché de l'offre et de la demande et d'embaucher de la main-d'œuvre locale en CDD, un personnel que l'on pouvait exploiter à l'envi puis renvoyer dans ses villages au terme du contrat. Ou comment un salariat bien conçu peut s'avérer plus intéressant – pour l'employeur s’entend – que l'esclavagisme pur et dur !


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=> Découvrir les articles des encyclopédies Universalis et Britannica sur l'esclavage

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