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2019 vu de 1919


La Sortie de l'opéra en l'an 2000, Albert Robida, 1902

Comment sera la vie en 2019 ? Pas tout à fait comme l’avait imaginée l’écrivaine Louise Faure-Favier. En 1919, elle signe un roman d’anticipation dont l’action se déroule exactement un siècle plus tard. Dans Ces choses qui seront vieilles, l’avion a remplacé la voiture, la langue a évolué et l’égalité entre les sexes est un fait. Le journaliste Roland de Marès en fait une recension élogieuse dans Les Annales politiques et littéraires du 9 novembre 1919.

Depuis le livre fameux où Bellamy a voulu nous apprendre comment vivront les hommes en l’an 2000, les « anticipations » constituent un genre où l’imagination facile peut se donner libre cours. Mme Louise Faure-Favier vient de s’y essayer avec un succès retentissant, et son roman, intitulé Ces choses qui seront vieilles, est tout simplement une œuvre délicieuse.

Cela se passe en l’an 2019, dans un siècle, et le Paris de cette époque encore lointaine est aussi admirable que celui que nous connaissons. Seulement, ses habitants ne ressemblent plus guère aux Parisiens d’aujourd’hui : ils font leurs courses en avion ; ils s’en vont en Amérique avec la même facilité que nous allons au Vésinet ; leurs mœurs sont étrangement libres et ils n’entendent plus le langage que nous parlons. Hommes et femmes, ils sont parvenus à l’émancipation totale ; – seulement, ils ne savent plus aimer. Ce don d’aimer que nous possédons encore – déjà moins qu’au XVIIIe siècle par exemple — ils l’ont perdu, ou, plutôt, ils l’ignorent. Du moins, ils aiment autrement et leur amour n’est pas fait de toute la vie de leur âme. Or, voici qu’en 2019, un poète – car il y aura encore des poètes en ces temps-là, paraît-il, et ils feront des vers décadents – a la curiosité de rechercher comment son aïeul, poète illustre du début du XXe siècle, perdit sa maîtresse, et il découvre qu’elle se donna la mort, parce qu’elle avait le sentiment que son ami avait cessé de l’aimer. Alors, par l’effet de ce simple épisode, c’est toute la vie de notre époque qui s’évoque en contraste de la vie telle qu’elle sera dans cent ans, et, les choses de notre temps, les choses et les êtres, apparaissent d’une infinie douceur. Ces choses qui seront vieilles ont le charme mélancolique que nous trouvons à ce qui date du début de l’autre siècle, mais il faut ce recul pour que nous puissions le découvrir et le ressentir. C’est une jolie idée d’artiste de nous montrer ainsi notre propre vie à distance, afin de nous la faire mieux comprendre et mieux aimer. Mme Louise Faure-Favier nous prouve ainsi que nous n’apprécions pas comme il faudrait apprécier la beauté et la douceur de vivre à notre époque. Peut-être, hélas ! cette beauté et cette douceur n’existeront-elles que par le prestige du passé…

LE LIVRE
LE LIVRE

Les Annales politiques et littéraires de Jules Brisson, 1883-1971

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