Le bateau ivre de Silvina Ocampo

Sœur d’une brillante éditrice et épouse d’un écrivain renommé, Silvina Ocampo a côtoyé les plus grands noms de la littérature argentine de son temps. Ce fut à la fois sa chance et sa malédiction. Car, en dépit d’une œuvre très riche, elle resta toujours dans l’ombre de ses illustres proches. Aujour­d’hui, moins de vingt ans après sa mort, l’écrivain tient enfin sa « revanche posthume », écrit Silvina Friera dans la revue Pagina 12 : la réédition de ses œuvres complètes et la publication de « La promesse », son dernier roman jusqu’alors inédit, lui redonnent sa juste place…

Sœur d’une brillante éditrice et épouse d’un écrivain renommé, Silvina Ocampo a côtoyé les plus grands noms de la littérature argentine de son temps. Ce fut à la fois sa chance et sa malédiction. Car, en dépit d’une œuvre très riche, elle resta toujours dans l’ombre  de ses illustres proches. Aujour­d’hui, moins de vingt ans après sa mort, l’écrivain tient enfin sa « revanche posthume », écrit Silvina Friera dans la revue Pagina 12 : la réédition de ses œuvres complètes et la publication de « La promesse », son dernier roman jusqu’alors inédit, lui redonnent sa juste place.

Silvina Ocampo est née à Buenos Aires en 1903, dans une riche famille d’aristocrates. Sa sœur aînée, Victoria, est une éditrice de tout premier plan. Elle a fondé en 1931 la très réputée revue Sur, qui publie, entre autres, Jorge Luis Borges, Thomas Mann, Henry Miller et André Malraux ; celui-ci la surnomme d’ailleurs « l’Impératrice de la pampa ». Victoria est également connue pour sa beauté et ses amours tumultueuses, quand Silvina se trouve laide et se définit elle-même comme un être plus « intime » : moins extravertie, plus secrète.

Jeune fille, elle étudie le dessin à Paris avec Giorgio De Chirico et Fernand Léger. Et publie sa première nouvelle en 1937. Trois ans plus tard, elle épouse l’écrivain Adolfo Bioy Casares – l’auteur de L’Invention de Morel, devenu depuis un classique. Commence alors une union compliquée : le besoin de séduire d’« Adolfito » n’est pas soluble dans le mariage, et Silvina doit composer avec ses nombreuses conquêtes. Mais Casares et elle sont unis dans le travail. Le couple forme avec Jorge Luis Borges un brillant trio qui publie, l’année de leurs noces, une importante anthologie de littérature fantastique. Ocampo, de son côté, compose une œuvre singulière et pro­téiforme, avec une prédilection pour la poésie et les nouvelles. Admirée de ses pairs – Borges voit en elle « l’un des plus grands poètes de langue espagnole » – et aimée des critiques, elle ne connaîtra pourtant jamais la gloire. Lorsqu’elle meurt en 1993, elle demeure relativement méconnue du grand public.

« Roman fantasmagorique »

Cette « Promesse » qui paraît aujourd’hui en espagnol, c’est « le triomphe de la petite dernière, la plus jeune des six filles Ocampo éclipsée par la prima donna Victoria, et qui avait toujours eu le sentiment d’être la cinquième roue du carrosse », affirme Friera. Silvina parlait de ce texte comme d’un « roman fantasmagorique », un récit affranchi de bien des conventions, privilégiant le flux de la conscience et la force des métaphores. Sa trame : une femme tombée d’un bateau se maintient à flot, tantôt en nageant, tantôt en faisant la planche. Bien qu’analphabète, elle fait à sainte Rita cette incroyable promesse : si elle survit, elle écrira un livre. Sans plume ni papier, elle écrit donc en pensée le roman de sa vie. Portraits et saynètes s’enchaînent sans lien logique, suivant les voies souterraines et tortueuses de la mémoire. À travers une galerie de personnages campés avec assurance et parfois une pointe de cruauté, cette dérive poétique explore des thèmes récurrents dans l’œuvre d’Ocampo : l’enfance et la perversion, la cruauté, la jalousie, le désir, l’amour fou (aimer, dit un personnage, c’est « perdre le dégoût, perdre la peur, perdre tout »).

Silvina Ocampo considérait ce roman, fruit de vingt-cinq années de travail, comme son livre le plus abouti. Elle avait raison, estime une critique du quotidien Clarín : « La promesa est un roman nécessaire dans son œuvre, une synthèse de sa poétique marginale et excentrique, toujours à contre-pied, toujours originale. » C’est aussi, écrit Hugo Beccacece dans La Nación, une œuvre très personnelle : « Sans le savoir – ou plutôt avec l’intuition obscure mais implacable de celui qui voit son destin –, Silvina Ocampo ne faisait, en racontant l’histoire de son personnage, que narrer son propre naufrage. »

LE LIVRE
LE LIVRE

La promesse, Lumen

ARTICLE ISSU DU N°26

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