Impasse égyptienne
Publié dans le magazine Books n° 26, octobre 2011.
Mohammed vit au Caire. Il a la trentaine – et pas de travail. En désespoir de cause, il part tenter sa chance à Dubaï. En cela, son sort n’est guère différent de celui de centaines de milliers d’émigrés qui quittent chaque année l’Égypte pour les pays du Golfe ou des contrées plus lointaines. Mais le jeune homme, narrateur du troisième roman de l’écrivain égyptien Nasser Iraq, va vivre là une situation encore plus angoissante : dans l’univers cosmopolite de l’émirat, il est assailli par toutes les contradictions de son existence.
Mohammed vit au Caire. Il a la trentaine – et pas de travail. En désespoir de cause, il part tenter sa chance à Dubaï. En cela, son sort n’est guère différent de celui de centaines de milliers d’émigrés qui quittent chaque année l’Égypte pour les pays du Golfe ou des contrées plus lointaines. Mais le jeune homme, narrateur du troisième roman de l’écrivain égyptien Nasser Iraq, va vivre là une situation encore plus angoissante : dans l’univers cosmopolite de l’émirat, il est assailli par toutes les contradictions de son existence.
« Le chômeur » est un roman « tout à la fois policier, romantique, érotique et politique », explique le poète et écrivain égyptien Ahmad Fadel Shabloul sur le site Middle East Online. Son titre joue sur les sens multiples que revêt en arabe le mot atel : signifiant en général « chômeur », il peut aussi désigner celui qui est « en panne » – en l’occurrence sexuelle. Mohammed, qui a désormais un emploi, est en effet incapable d’honorer ses conquêtes successives – une Marocaine, une Russe, une Chinoise et une Égyptienne. Comme si l’oisiveté forcée qui empoisonnait auparavant sa vie venait le poursuivre jusque dans l’intimité. Son impuissance oblige le narrateur à une douloureuse introspection. Sa vie, constate-t-il, n’est que frustration. « Trente ans, et je n’ai pas écrit un seul mot d’amour à une fille… Trente ans d’errance sans rêver du visage d’une amoureuse. » Au moment où il croit avoir enfin trouvé l’amour avec une compatriote émigrée, le jeune homme est accusé de meurtre, et se trouve une nouvelle fois dans l’impasse.
Accents prophétiques
« Le héros avance dans un enchevêtrement d’événements qui sont surtout prétexte à plonger dans la psychologie de personnages aux destins tourmentés », souligne Shabloul. Quelques séances de psychanalyse révéleront que Mohammed souffre d’avoir été élevé par un père tyrannique, et qu’il est resté marqué par les brimades d’un frère dominateur. C’est finalement l’écriture de cette chronique émaillée de flash-backs qui lui permettra de surmonter la crise. En prenant la plume, il accepte enfin de regarder en face « ses déceptions, ses échecs et ses défaites ». Ce faisant, il dresse un troublant parallèle entre son existence et le destin de son pays : ses trente ans de vie correspondent à peu près à la durée du règne de Hosni Moubarak (de 1981 à 2011). Un règne souvent évoqué au fil des pages par un personnage de journaliste révolutionnaire qui donne des accents prophétiques à ce roman paru quelques mois avant la chute du Raïs. « En utilisant le symbole sexuel pour exprimer l’impuissance politique », note Shabloul, Nasser Iraq donne un autre sens aux « pannes » du « chômeur ».