Conversation avec un démographe indien

Un célèbre chercheur pose dans ses Mémoires un regard ironique et piquant sur les aléas de son métier : compter la population indienne.

La plus grande opération administrative au monde a été lancée en avril 2010 : l’Inde compte ses habitants. Pas moins de 2,5 millions de fonctionnaires sont mobilisés pour procéder à ce recensement décennal qui doit durer un an et demi. Ashish Bose, l’un des démographes les plus célèbres du pays, habitué de l’affaire, témoigne de sa complexité dans un livre de mémoires, Headcount.

Le chercheur bengali y dit comment des villageois se sont amusés à lui raconter des sornettes pour le simple plaisir de berner un citadin. Il parle aussi de ces hommes qui se déclarent plus vieux qu’ils ne le sont, dans l’espoir d’être pris au sérieux. « Et des femmes qui, comme partout dans le monde, se rajeunissent de quelques années… » Le quotidien Hindustan Times s’amuse des anecdotes de l’octogénaire : « Après avoir posé la question apparemment simple de “Combien d’enfants avez-vous ?”, Bose a eu droit à toutes sortes de réponses. Certains comptaient les enfants de tous les frères de la famille. D’autres uniquement leurs filles non mariées (parce que les filles mariées “appartiennent” à l’autre famille). D’autres seulement les fils (les filles non mariées allaient appartenir à quelqu’un d’autre après leur mariage). » Beaucoup plus qu’une étude des taux de natalité, ce livre « est donc une chronique vivante de l’Inde de l’intérieur », poursuit le journal.

Le démographe est notamment connu pour avoir forgé dans les années 1980 l’acronyme « Bimaru », désignant quatre des États indiens les plus pauvres, situés dans le nord de l’Inde : Bihar, Madhya Pradesh, Rajasthan, Uttar Pradesh. Un acronyme non dénué de sens : en hindi, bimar signifie « malade ». Pour Bose, il s’agissait alors d’attirer l’attention sur ces régions, et de faire comprendre au gouvernement que, pour enrayer la croissance démographique, il fallait en finir avec une politique de contrôle des naissances inappropriée et encourager l’alphabétisation. « Ashish Bose commente en connaissance de cause et en toute franchise la politique des différents gouvernements », note Outlook India. Il surnomme Indira Gandhi « la despote bienveillante ». Mais son fils Sanjay s’attire ses foudres, pour s’être énormément impliqué dans les campagnes de stérilisation forcée ordonnées par Indira dans le cadre de l’état d’urgence (1975-1977).

« Ce livre n’est pas une autobiographie mais une série de petites histoires qu’Ashish Bose a notées au jour le jour », précise The Hindu. C’est sur un ton léger, proche de la conversation, qu’il s’étend sur ses rencontres au sommet avec Jawaharlal Nehru ou l’industriel JRD Tata, et ses séjours dans des villages reculés où les hommes et les femmes de son équipe évitaient de s’asseoir côte à côte pour ne pas choquer… « Bose est un conteur, vous pouvez l’imaginer assis face à vous, un verre de whisky à la main, en train de raconter à bâtons rompus l’histoire de sa vie », s’enthousiasme le Hindustan Times.

LE LIVRE
LE LIVRE

Décompte. Mémoires d’un démographe de Conversation avec un démographe indien, Penguin Books India

ARTICLE ISSU DU N°22

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