Controverses et transgressions au « Booker prize arabe »
Publié en mars 2010. Par Jean-Louis de Montesquiou.
Un exercice paralittéraire qui présente de sérieuses difficultés est l'organisation de prix. De bons esprits ont lancé en 2007 le « Prix International de Fiction Arabe » (IPAF), communément appelé le « Booker prize Arabe », un prix qui a connu aussitôt un très vif succès, et qui, écrit Youssef Rakha dans The National, « est devenu pour le monde arabe l'alpha et l'oméga du talent littéraire ».
Hélas, le jury de ce prix est fortement divisé- ce qui n'est pas un phénomène à proprement parler nouveau, ni surtout spécifiquement moyen-oriental - mais il l’est selon des clivages nationaux, politiques, et même religieux, ce qui complique sérieusement les affaires. Pour le cru 2010, les choses se présentaient extrêmement mal, car une controverse passionnée s’était déjà déclenchée à propos de la publication, en novembre dernier, de la long list.
Il faut dire que les 16 livres présélectionnés traitent tous de sujets extrêmement chauds, et le font avec une insolence, voire même une verdeur courageuse. L'un d’eux, par exemple, raconte les amours difficiles d'un dignitaire palestinien et d'une actrice israélienne (ce récit très représentatif « de la littérature de résistance post- Oslo finit sans surprise dans un bain de sang) (1). « Un jour couvert sur le West Side » (2) montre une paysanne libanaise confrontée aux difficultés - et aux bonheurs - de l'immigration. Le plus culotté, « Quand vieillissent les Loups », d’un écrivain jordano-palestinienne, offre une peinture sulfureuse d'Ammân « en proie à la répression politique et sexuelle et à la lutte pour le pouvoir entre les intellectuels et les leaders religieux ».
Sur cet arrière-plan, pas étonnant que les passions se déchaînent et que les jurés se déchirent. Ils le font en s'accusant mutuellement d'être à la solde de tel ou tel groupe de pression. À quoi s'ajoute une dimension nationale : le prix a déjà couronné deux fois des écrivains égyptiens, et donc pour cette année ceux-ci ont pratiquement été rayés de la liste. À leur place, en posture de favori, un auteur libanais, Ulwiya Subh, une femme qui plus est. Mais la presse a aussitôt fait état d’un accord clandestin en sa faveur (et de fait il semble que tous les membres du jury soient d'une façon d'une autre des parents ou des relations de Subh). L'Égypte a hurlé au complot ; il y a eu des volées d'insultes échangées par voie de presse, et peut-être même des coups ; et la Libanaise a été prestement rayée de la liste.
Au final, c'est un auteur saoudien qui a été couronné, et a reçu les 60 000 $ du prix: Abdol Khal, dont le roman «Des Gerbes de feu hautes comme des châteaux », comptait également parmi les favoris. Khal a l’avantage d’être un auteur reconnu, et de n’être ni égyptien ni libanais. Il n'empêche, le jury a fait un choix courageux : le roman , situé à Djeddah, décrit impitoyablement la violence, l'injustice politique et surtout l'oppression sexuelle qui sévit dans les hautes couches de la société saoudienne, une société « prise en étau entre l'horreur de l'inégalité et l'absurdité de la puissance», selon les termes de Youssef Rakha. Difficile de savoir comment réagira le public devant ce choix, le public saoudien du moins : les oeuvres d’Abdol Khal sont déjà interdites dans le royaume.
(1) The Lady from Tel Aviv, par Rabie Al Madhoun
(2) par Mohamad al Mansi
Hélas, le jury de ce prix est fortement divisé- ce qui n'est pas un phénomène à proprement parler nouveau, ni surtout spécifiquement moyen-oriental - mais il l’est selon des clivages nationaux, politiques, et même religieux, ce qui complique sérieusement les affaires. Pour le cru 2010, les choses se présentaient extrêmement mal, car une controverse passionnée s’était déjà déclenchée à propos de la publication, en novembre dernier, de la long list.
Il faut dire que les 16 livres présélectionnés traitent tous de sujets extrêmement chauds, et le font avec une insolence, voire même une verdeur courageuse. L'un d’eux, par exemple, raconte les amours difficiles d'un dignitaire palestinien et d'une actrice israélienne (ce récit très représentatif « de la littérature de résistance post- Oslo finit sans surprise dans un bain de sang) (1). « Un jour couvert sur le West Side » (2) montre une paysanne libanaise confrontée aux difficultés - et aux bonheurs - de l'immigration. Le plus culotté, « Quand vieillissent les Loups », d’un écrivain jordano-palestinienne, offre une peinture sulfureuse d'Ammân « en proie à la répression politique et sexuelle et à la lutte pour le pouvoir entre les intellectuels et les leaders religieux ».
Sur cet arrière-plan, pas étonnant que les passions se déchaînent et que les jurés se déchirent. Ils le font en s'accusant mutuellement d'être à la solde de tel ou tel groupe de pression. À quoi s'ajoute une dimension nationale : le prix a déjà couronné deux fois des écrivains égyptiens, et donc pour cette année ceux-ci ont pratiquement été rayés de la liste. À leur place, en posture de favori, un auteur libanais, Ulwiya Subh, une femme qui plus est. Mais la presse a aussitôt fait état d’un accord clandestin en sa faveur (et de fait il semble que tous les membres du jury soient d'une façon d'une autre des parents ou des relations de Subh). L'Égypte a hurlé au complot ; il y a eu des volées d'insultes échangées par voie de presse, et peut-être même des coups ; et la Libanaise a été prestement rayée de la liste.
Au final, c'est un auteur saoudien qui a été couronné, et a reçu les 60 000 $ du prix: Abdol Khal, dont le roman «Des Gerbes de feu hautes comme des châteaux », comptait également parmi les favoris. Khal a l’avantage d’être un auteur reconnu, et de n’être ni égyptien ni libanais. Il n'empêche, le jury a fait un choix courageux : le roman , situé à Djeddah, décrit impitoyablement la violence, l'injustice politique et surtout l'oppression sexuelle qui sévit dans les hautes couches de la société saoudienne, une société « prise en étau entre l'horreur de l'inégalité et l'absurdité de la puissance», selon les termes de Youssef Rakha. Difficile de savoir comment réagira le public devant ce choix, le public saoudien du moins : les oeuvres d’Abdol Khal sont déjà interdites dans le royaume.
(1) The Lady from Tel Aviv, par Rabie Al Madhoun
(2) par Mohamad al Mansi