Les hébergeurs vidéo vont bientôt « parler »

« Le gouvernement italien vient de faire adopter un décret très polémique obligeant les sites qui distribuent des vidéos sur Internet à demander une licence auprès du ministère des télécommunications », lit-on dans Le Monde du 25 février 2010

Après la condamnation des dirigeants de Google Italie accusés de n’avoir pas retiré assez tôt une vidéo montrant l’agression d’un trisomique (lire « Google va-t-il parler ? ») les Italiens s’attaquent au statut de l’hébergeur. Celui-ci, établi à la fin des années 1990, alors qu’Internet était avant tout perçu comme un outil de correspondance et de transactions, bénéficiait de la règle générale du secret des communications faisant qu’un transporteur n’est pas responsable de l’usage fait de ses services. Néanmoins, avec le déploiement de la fonction médiatique du réseau, Internet est devenu un formidable outil de publication. De là de très nombreux différends liés à la nature de la fonction de média : publication de données privées, contournement du droit d’auteur, désinformation, diffamation, indécence...

Le problème fondamental d’un média est de faire circuler du signifiant d’une source identifiée vers des publics anonymes. Si cette fonction n’est pas convenablement régulée, rien n’empêche que le signifiant émis soit trompeur, falsificateur, criminogène, etc. Dans l’univers matériel, les investissements lourds associés aux tâches de publication — impression et distribution des supports — ont imposé aux éditeurs d’avoir une raison sociale, laquelle engage leur responsabilité vis-à-vis des lois sur l’émission d’information publiques. Cette situation a permis de faire intégrer — les économistes disent internaliser — par les éditeurs, les règles de modération ou de censure imposées par la société. 



La déresponsabilisation des hébergeurs engagés dans des tâches de publication s’est d’abord résolue par des règles de censure ex-post, enjoignant ceux-ci de retirer à la demande les contenus illicites (notice and take down). C’est faute d’avoir obtempéré assez vite que les hébergeurs italiens se sont fait condamner.

Néanmoins, ce jugement ne met pas les sociétés à l’abri de la diffusion très rapide d’informations nocives circulant de façon virale. De là la volonté croissante des Etats, à commencer par l’Italie, de revoir le statut des hébergeurs en plaçant leurs activités de publication sous statut d’éditeur. Ce faisant, l’Etat italien se montre infiniment moins normatif qu’Apple : faisant jouer son statut d’éditeur, l’App Store vient en effet de retirer du marché quelque 5 000 applications « sexuellement inappropriées », selon des critères dignes des ligues de vertu des années 1930. On imagine mal Sylvio Berlusconi réclamer une telle décision…

Le décret italien revient à imposer aux muets de s’ériger en « qui parle » et par là, d’endosser symboliquement la profération de propos publics. Au plan économique, il s’agit, ni plus, ni moins, d’une décision d’internalisation comparable, dans le registre du symbolique, au principe pollueur-payeur.

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