Ce que votre adresse dit de vous
Publié le 6 mai 2020. Par Pauline Toulet.
Dans The Address Book, Deirdre Mask, juriste de formation, s’intéresse à une chose toute simple en apparence : les noms des rues. Et ceux-ci se révèlent bien plus dignes d’intérêt qu’il n’y paraît. « Lisez le livre de Deirdre Mask […], et vous commencerez à réaliser à quel point ces marqueurs géographiques sont importants, à quel point ils sont lourds de sens et combien leur incidence est grande sur à peu près tout, qu’il s’agisse du bon fonctionnement de la société ou des questions de richesse, de pauvreté et de démocratie », insiste Andrew Holgate dans The Times.
Histoire des noms de rue
En effet, les noms des rues en disent souvent long sur l’histoire des lieux. Jusqu’à une époque récente, ces noms étaient essentiellement descriptifs. À Paris, par exemple, la « rue de la parcheminerie » désigne l’endroit où les parcheminiers étaient autrefois établis. De même pour la « rue du pelotage », à Shrewsbury, au Royaume-Uni. Baptisée ainsi à l’époque médiévale, elle nous renseigne sur l’endroit où se trouvaient les prostituées de l’époque, explique l’auteure. « Mais aujourd’hui, les noms de rues ne se contentent plus de décrire, explique Mask. Ils commémorent », précise l’historien britannique Adrian Tinniswood dans la Literary Review.
Ce n’est donc pas l’effet du hasard si la ville de Mexico compte plus de 500 rues baptisées d’après Emiliano Zapata, l’un des héros de la révolution mexicaine de 1910. En Russie, Lénine donne son nom à près de 4 000 voies, pointe Mask. Quant aux États-Unis, il fallut attendre 8 ans après la mort de Martin Luther King pour qu’une rue porte son nom. Désormais, il y en a plus de 900.
Impôt et toponymie
Mais la toponymie n’a pas qu’un intérêt historique : « Mask montre que les noms et les numéros de nos rues trouvent leur origine dans un projet des Lumières, dont le but est de contrôler et dénombrer les sujets de l’État », pointe P. D. Smith dans le quotidien britannique The Guardian. Pouvoir localiser précisément les individus, c’est l’assurance de pouvoir leur prélever un impôt, indique l’auteure. Et la toponymie a aussi des conséquences en matière de santé publique, souligne-t-elle. Pour endiguer une épidémie, par exemple, il faut pouvoir en déterminer le foyer et tracer sa diffusion. Et cela n’est possible que lorsqu’à chaque malade peut être associé un lieu de résidence bien précis. Hélas, 70 % de la planète est insuffisamment cartographié, s’inquiète Deirdre Mask.
À lire aussi dans Books : La vie privée a-t-elle un avenir ?, juin 2012.