American mythology

Du dealer de crack au rappeur multimillionnaire, la vie légendaire de Jay-Z fascine les lecteurs outre-Atlantique.

Le rappeur Chuck D, leader du groupe Public Enemy, définit le rap comme la « CNN du ghetto » : « Toute la crédibilité de ses figures vient du fait qu’elles sont “en prise avec la réalité” et que leurs “reportages” sonnent “authentiques” », rappelle Helen Brown en commentant dans les colonnes du Telegraph l’immense succès rencontré outre-Atlantique par Decoded, les mémoires de Jay-Z, roi du hip-hop américain. Jay-Z, de son vrai nom Shawn Carter, est né en 1969 à Brooklyn, dans la cité HLM de Marcy Houses. Et le petit dealer devenu multimillionnaire – sa fortune dépasse les 450 millions de dollars, selon Forbes – a de longue date composé toute une dramaturgie autour de sa vie. Mises bout à bout, les paroles de ses chansons forment une véritable « mythologie », note Michiko Kakutani dans le New York Times : son enfance dans le Brooklyn des années 1980, quand le crack faisait des ravages, l’addiction et la descente aux enfers de son père, son premier album Reasonable Doubt en 1996, son ascension dans le rap, puis son succès en tant que producteur (« Je ne suis pas un businessman, je suis un business, man »). En réalité, affirme Sam Anderson dans un article du New York Magazine qui se risque à comparer les Mémoires de Jay-Z avec une récente biographie de George Washington, « le principal talent de ces personnalités, la raison pour laquelle nous connaissons finalement leur nom, tient à quelque chose de profondément américain. Tout comme le père fondateur de la nation, Jay-Z a su inscrire sa petite vie dans un grand récit, donner à ses combats personnels une dimension universelle et mythique ». Les deux hommes étaient issus de territoires en marge (la banlieue de New York pour l’un, la vieille Virginie sudiste pour l’autre), orphelins de père, élevés par des mères distantes, « ambitieux, bagarreurs, incultes », résume Sam Anderson. « Washington vendait du tabac, Jay-Z du crack, mais l’un comme l’autre ont toujours refusé de consommer leur marchandise. » Tous deux ont fait des « mariages stratégiques » : la très glamour Beyoncé Knowles a renforcé la popularité de Jay-Z, et « Martha fit grimper Washington dans la hiérarchie économique et sociale des colonies ». « J’appartiens à cette génération de Noirs qui ont finalement compris, écrit Jay-Z, que personne n’allait les aider à s’en sortir. » Une génération qui donna naissance, selon les mots du rappeur lui-même, à la figure de la « crapule » : « Un antihéros qui cherche, par tous les moyens nécessaires, à transformer l’extrême pauvreté en richesse, conclut Sam Anderson, quitte à tirer profit de l’épidémie de crack pour prospérer. »
LE LIVRE
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Décodé de American mythology, Spiegel & Grau

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