Aurons-nous assez de coqs pour vaincre la grippe ?

Nous l’avons évoquée. Le monde scientifique est agité par la controverse qui oppose les partisans de la publication d’une série d’expériences qui établissent le scénario plausible de l’évolution du virus de la grippe aviaire H5N1 vers une forme qui permettrait la transmission interhumaine et ceux qui trouvent cette publication trop dangereuse. Cette controverse n’est pas près de s’arrêter. Les articles incriminés sont toujours chez les éditeurs, et les pro et les anti s’affrontent, sans doute pour encore longtemps. Or le vrai problème que pose cette maladie n’est pas là. Ce problème est une question de logistique. Comment réaliser un vaccin pour une fraction significative de 7 milliards d’hommes ? Bizarrement, on va le voir, il va manquer de coqs pour cocher les poules pondeuses nécessaires à la production du vaccin !

Revenons d’abord à cette maladie, et à son importance. L’histoire, trop souvent centrée sur de grands personnages, nous fait oublier l’importance cruciale des maladies dans le développement du monde. Si la fièvre jaune n’avait pas tué autant nous n’aurions pas vendu la Louisiane pour presque rien, et le français serait peut-être la langue de communication internationale. On sait le prix payé par les civilisations amérindiennes à la variole. La peste reste passablement énigmatique. Tout cela incite à comprendre comment les maladies émergent et se répandent. Depuis la découverte des antibiotiques – et malgré l’apparition de résistances multiples de plus en plus nombreuses –, les maladies causées par les bactéries ne peuvent probablement plus avoir, au moins pour un temps, un rôle tel qu’il influencerait le cours de l’histoire. Les virus, au contraire, restent dangereusement imprévisibles. Dans ce cas en effet nous n’avons en pratique accès à rien d’autre que la prévention et les concentrations humaines des villes font craindre le pire. Prévenir se fait de deux manières, par le contrôle du mouvement des populations (la quarantaine) et par la vaccination. Encore faut-il un vaccin efficace, et surtout, alors que la population humaine a dépassé 7 milliards, des quantités suffisantes, donc gigantesques, de vaccin.

L’efficacité de la quarantaine a été bien illustrée dans la façon dont s’est vite éteinte l’épidémie de Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) en 2003, due à un coronavirus inconnu jusque là. Ce virus se répandait incroyablement vite, nous n’avions aucun traitement efficace, et bien sûr pas le moindre vaccin. Mais, par chance, il n’était contagieux qu’à partir de personnes fiévreuses. Il devenait donc facile d’une part de limiter localement les déplacements, et d’autre part, pour les voyages, aériens en particulier, de faire le tri de ceux qui avaient la fièvre et de les mettre aussitôt en quarantaine. On est d’ailleurs encore souvent aujourd’hui accueilli en Chine par un passage obligé devant des caméras à détection infrarouge, et le dispositif qui a permis la fin du SRAS est facile à réactiver.

La situation est tout autre avec la grippe : la maladie est contagieuse bien avant que la fièvre ne se manifeste. Dans ce cas la seule prévention efficace est la vaccination. Par chance, on sait réaliser le vaccin antigrippal. Il est d’ailleurs très utilisé, et la saison 2011-2012 est, pour l’instant (elle commence juste en France), celle où la grippe « saisonnière » a contaminé le plus faible nombre de personnes depuis longtemps. Malheureusement le virus de la grippe évolue particulièrement vite. Et cela de deux manières. D’une part les souches qui font le tour du monde changent par mutation la surface du virus, ce qui rend le vaccin moins efficace. D’autre part de temps en temps, ce virus, qui est un patchwork de fragments de génomes, à la suite d’une contamination mixte (par deux virus différents ou même plus), rebat les cartes et donne lieu à un virus qui peut échapper au système immunitaire, désormais « naïf », de ceux qu’il infecte. Le principe de la vaccination est d’injecter un virus mort ou inoffensif qui déclenchera la réponse immune. L’hôte désormais averti reconnaîtra le vrai virus dès les premiers stades de l’infection, et s’en débarrassera. Comme la grippe est une maladie sérieuse et très répandue, on a travaillé depuis des décennies sur la production de vaccins. Et comme c’est un virus aviaire, la méthode la plus efficace a été de produire des virus atténués (inoffensifs) par multiplication dans des œufs de poule. Mais un problème majeur se pose à l’industrie : ces œufs doivent contenir un embryon, et donc avoir été fécondés. Or l’industrie avicole n’est pas organisée pour la production massive d’œufs fécondés. En car d’urgence il y aurait donc pénurie, tout simplement parce que nous manquerons de coqs pour cocher les poules !

La leçon est importante, car elle met en évidence l’immense espace entre le laboratoire et la pratique industrielle, entre un bon concept de vaccin par exemple, et sa mise en place massive. Bien sûr il y a des alternatives possibles. L’idéal serait un vaccin recombinant. Mais cela prendra encore du temps, et le public a été très prévenu contre le génie génétique (haro sur les OGM !), dans un contexte où s’est répandue une méfiance très malvenue contre la vaccination. On peut aussi imaginer la production d’un vaccin produit par culture de virus sur des cellules animales. C’est d’ailleurs le cas de certains vaccins. Mais il faut prendre en compte toutes sortes de dangers possibles, peu explorés. Les cellules mammifères, par exemple, contiennent de nombreux virus endogènes, et il est évidemment difficile de les séparer de la production finale, le virus de la grippe… 

Antoine Danchin

LE LIVRE
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Vaccin pour la grippe pandémique de Aurons-nous assez de coqs pour vaincre la grippe ?, Springer

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