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« Le baccalauréat »


Classe du Lycée Pierre-Corneille de Rouen, 1902

Les épreuves du baccalauréat ont débuté cette semaine. La « dernière session » avant une nouvelle réforme qui sera chargée d’améliorer le vénérable examen. Ce n’est pas la première fois que cette institution sera bouleversée. En 1900 déjà le journaliste Victor Lodiel tempérait les ardeurs des réformistes. Dans l’édition du 17 mars de l’Ouest-éclair, il présentait les avantages du bac à l’ancienne : faire travailler les professeurs et aider les élèves à trouver leur vocation.


 

 

M. Leygues, grand maître de l’Université, poète à ses heures, homme de lettres jadis, a défendu hier devant le Sénat notre vieux baccalauréat.

Vénérable institution, s’il en est, que celle-là, dont l’origine se perd dans le moyen-âge et de qui est issu, s’il faut en croire le noble bachelier de Salamanque, fils du spirituel breton Le Sage, « l’esprit de tous ceux qui ont pu payer pour en avoir. »

M. Leygues a dit, pour défendre le baccalauréat, tout ce qu’on peut dire d’une institution humaine et gouvernementale, sauf qu’elle est parfaite ; et il a eu raison.

Pour les maîtres comme pour les élèves cet examen est un stimulant utile, nécessaire. Depuis la « sixième » on y pense, on commence déjà à parler des professeurs de la docte faculté, qui apparaissent, dans le lointain de années, comme des sortes de monstres implacables, cuirassés de science, et assis au péristyle de la vie, qu’on ne voit pas encore, mais qui apparaît derrière eux large et fleurie, comme les dragons du jardin des Hespérides.

C’est pour eux qu’on travaille quand le maître a cessé de plaire. Le petit orgueil humain apparaît déjà dans le bambin haut de deux sous, lorsqu’il peut s’écrier dans une de ses fréquentes exaspérations dont est faite la vie du collège « Ah ! s’il n’y avait pas le baccalauréat ! » Et il travaille, au fond, plutôt pour éviter les pensums, mais aussi parce qu’il peut dire aux autres, pour couvrir l’abdication de ses petites vanités. Ah ! s’il n’y avait pas le baccalauréat, comme je serais un paresseux modèle ! »

La nature humaine est ainsi faite, qu’elle aime à couvrir ses qualités par des défauts alors même que ces défauts n’ont, des défauts, que l’apparence.

Nous ne dirons pas que, dès la sixième, le maître ait la même préoccupation, la même crainte sacrée du sacro-saint parchemin. Il le voit si loin, tanné et écrit par tant d’autres en avant de lui, qu’il ne le regarde guère. Au professeur de seconde et de rhétorique les cauchemars et la responsabilité lui, peut encore se livrer aux « longs espoirs et aux vastes pensées. » Et c’est tant mieux.

Sans préoccupation immédiate de programmes, un peu pour l’amour de l’art s’il est intelligent… et s’il ne l’est pas trop, un peu pour l’amour de l’enfant, s’il sait l’aimer, et il en est beaucoup par souci du devoir à accomplir, pour celui qui a de la conscience, et ils sont nombreux, le professeur des classes inférieures peut faire travailler ses élèves sans que les préoccupations de l’examen l’empêchent de leur laisser approfondir les éléments de la science.

Pour ma part, j’ai trouvé généralement que les jeunes professeurs, frais émoulus de la Faculté ou de l’École avaient trop cette passion de creuser, de chercher, d’approfondir, que, dans le gouffre de leur science grammaticale, en particulier, l’intelligence de leurs élèves sombrait trop souvent.

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Le baccalauréat n’empêche donc pas de faire étudier aussi à fond que possible un certain nombre de questions, les questions et les matières importantes, en général, et même parfois celles qui ne le sont guère, et dont la seule raison d’être existe dans le goût spécial, dans les aptitudes ou dans les études personnelles trop accaparantes du professeur.

Or, voici où l’on apercevra précisément la raison d’être du baccalauréat, j’entends la raison principale, inattaquable contre laquelle aucune objection, non plus ne saurait prévaloir.

Admettons un instant que le baccalauréat soit supprimé. La liberté la plus entière sera donnée aux professeurs. Les maîtres des classes supérieures auront chacun leur principe.

L’un tiendra pour la littérature, déclarant que le grec, le latin, voire les littératures et les langues vivantes chargent inutilement les cerveaux, et que le seul but de l’homme ici-bas et son seul bonheur est de connaître et de comprendre le beau.

Un autre qui aura commis ce péché de jeunesse d’élucubrer une thèse sur Denys d’Halicarnasse ou sur Lycophron exténuera de grec et d’érudition indigeste les plus intelligents de ses élèves et les écartera pour toujours de la vraie littérature et de l’art antique.

D’autres, au contraire se lanceront inconsidérément vers l’idéal de l’éducation moderne. La plupart, n’étant plus talonnés par la sanction d’un examen qui est aussi le leur, en quelque sorte, s’attarderont ainsi sur des études spéciales. Le cerveau de leurs élèves ressemblera à ces fruits que l’on expose à un feu trop ardent, et qui brûlés d’un côté, de l’autre gardent toute leur âcreté.

Le baccalauréat, au contraire, même avec les programmes actuels, qui sont loin d’être parfaits, a l’incontestable avantage, outre, comme je l’ai dit, qu’il oblige le travail des professeurs, et qu’il active, et, dans certains cas, excuse (à leurs yeux) le travail des élèves, de lancer les esprits divers dans les diverses voies, de les obliger au moins à y faire un pas, quitte à plus tard permettre un retour en arrière.

Obligés de tenter ainsi toutes leurs facultés, en les appliquant aux branches diverses de la science, les élèves font bientôt un choix. L’un, à qui l’histoire plaira davantage, et dont la mémoire sera plus accueillante aux faits et aux dates, saura qu’il peut faire un érudit ou un juriste. L’autre, pour qui les chiffres représentent des réalités, et les triangles des ares de terre ou des collines saura qu’il peut faire un banquier, un stratégiste ou un géomètre. Si les programmes n’avaient pas été là pour l’obliger à explorer, fût-ce très vaguement, cette route, voilà un chemin, le chemin de sa vie entière, et parfois, de son succès, et, une fois sur mille, de sa gloire, qui lui serait resté inconnu.

Les vocations originelles sont rares. La plupart du temps, c’est l’expérience qui révèle la vocation, comme c’est l’exercice qui fait connaître les forces intimes de l’être, en même temps qu’il les développe.

Le baccalauréat fait des études secondaires une caserne intellectuelle, un gymnase, un champ de manœuvre. Il est le général qui commande, qui juge et qui voit, et qui, dans celui-ci reconnaît l’officier du génie, dans cet autre le simple adjudant d’infanterie… et qui laisse dans le rang l’incapable. Chacun a dû s’exercer à chaque mouvement, à chaque agrès. Si le général n’était pas là, les sous-ordres négligeraient une quelconque au moins de leurs fonctions, les recrues ne donneraient pas la mesure de leurs forces.

Pour cette raison-là, pour bien d’autres, conservons le général.

Victor Lodiel

 

 

LE LIVRE
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ouest éclair

L’Ouest-Eclair de Félix Trochu et Emmanuel Desgrées du Loû, 1899-1944

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