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« Nous sommes doubles champions du monde de poésie », s’enorgueillit l’un des personnages du nouveau roman d’Alejandro Zambra. L’écrivain chilien fait allusion à ses compatriotes Gabriela Mistral et Pablo Neruda, tous deux lauréats du prix Nobel de littérature. Dans Poeta chileno, il retrace le parcours initiatique de Gonzalo, un jeune homme qui aspire lui aussi à devenir poète. Et, tout en interrogeant les ressorts de la vocation littéraire, il « décortique au fil des pages ce que cela signifie d’appartenir à la classe moyenne », observe Joyce Ventura dans le quotidien chilien La Tercera.

Alors qu’il s’efforce de se faire une place au sein de l’avant-garde littéraire, Gonzalo renoue avec Carla, son amour de jeunesse, désormais mère d’un garçon de 6 ans. Et, que ce soit en tant que beau-père ou en tant que poète, Gonzalo a bien du mal à se sentir légitime. « Poeta chileno traite du besoin d’appartenance et de ses paradoxes : appartenir à une famille, à un groupe, à une profession, à un pays. Toutes ces formes de communautés que nous recherchons et détestons en même temps », analyse Antonia Torres Agüero dans le quotidien chilien en ligne El Mostrador. Si Gonzalo abandonne finalement ses prétentions littéraires (son seul et unique recueil n’a pas marqué les mémoires), l’enfant qu’il a élevé deviendra, lui, un poète reconnu. Zambra dépeint non sans malice le cercle intellectuel dans lequel évolue son protagoniste, mêlant aux personnages de fiction certaines sommités de la poésie chilienne comme Nicanor Parra ou Raúl Zurita. Le romancier entend ­ainsi démystifier la figure du poète : « Je voulais écrire un roman sur la poésie qui ne soit absolument pas poétique », confie-t-il au quotidien espagnol La Vanguardia.

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Bart Van Loo est un écrivain belge néerlandophone. On lui doit plusieurs ouvrages sur la France. Les Téméraires, grand succès de librairie en Belgique et aux Pays-Bas, est le premier à être traduit en français.

Pourquoi, vous qui êtes flamand, avez-vous consacré un ouvrage de près de 700 pages à la Bourgogne ?

Ce n’est pas le premier de mes livres qui porte sur la France. Depuis le ­milieu des années 2000, j’en ai consacré plusieurs à sa littérature, sa cuisine, son érotisme… Je suis aussi l’auteur d’une histoire chantée de la France, de ­Clovis à Sarkozy, et d’une biographie de Napo­léon. Ces livres ont connu du succès, sans doute parce que, en Flandre comme aux Pays-Bas, il existe un fond de nostalgie pour la culture française, qui est en train de disparaître au profit de la culture anglo-saxonne. Ce succès a fait de moi, en Belgique, le francophile de service. À un moment donné, cependant, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la question. Qu’allais-je écrire ensuite ? Un livre sur les plombiers dans la culture française ? Je me suis donc intéressé à mes propres racines. Moi qui suis devenu ce que je suis grâce à mes voyages en France, à mes lectures françaises, à mon regard toujours tourné vers le sud, tout à coup, je me suis demandé : et nous autres, Belges et Néerlandais, comment sommes-nous devenus ce que nous sommes ?

J’avais en tête la date que tout le monde connaît en Belgique et aux Pays-Bas : 1585, la chute d’Anvers, la séparation entre le Nord et le Sud, à la suite de laquelle tous les intellectuels, les artistes et les bons commerçants ont fui les Espagnols avec leurs richesses pour s’établir aux Pays-Bas, ce qui a permis leur spectaculaire essor au XVIIe siècle. Notre histoire nationale commençait donc par une séparation dramatique, qui suggérait qu’auparavant nous avions toujours été unis. Or qu’ai-je constaté ? Si l’on regarde une carte de l’Europe occidentale datant de 1300 ou de 1350, on découvre l’Angle­terre, la France et le Saint ­Empire romain germanique. Nous autres, Flamands, Brabançons, Hollandais, gens du Hainaut ou de Bruxelles, nous n’avions pas d’existence collective. Nous appartenions soit au royaume de France, soit au Saint ­Empire. Et puis un miracle géopolitique se produit : au cours des XIVe et XVe siècles, les ducs de Bourgogne parviennent à réunir et à unifier ces territoires et à en faire un nouvel État. Dans l’histoire ­européenne, un tel phénomène est rarissime.

Ainsi, au bout du compte, moi qui comptais raconter mon histoire du Nord, de la Belgique, des Pays-Bas, j’ai dû retourner en France (ce que je voulais éviter !), puisque, en tant que Flamand et Belge néerlandophone, je suis inexplicable sans la France et ses ducs de Bourgogne.

Avant d’en venir à l’œuvre de ces ducs, votre livre retrace un millénaire d’histoire de la Bourgogne. Pourquoi ?

Le point de départ logique aurait été effectivement ce 19 juin 1369 où le duc de Bourgogne Philippe le Hardi épouse à Gand Marguerite de Flandre, la plus riche héritière d’Europe, et pose les fondements de ce qui va devenir l’empire bourguignon. D’ailleurs, c’est ainsi que j’avais commencé. Mais, au bout de deux pages, j’ai constaté que je devais sans cesse interrompre le fil de mon ­récit pour expliquer ce qui n’est pas forcément évident pour le grand public : le système féodal, le fait que, dans ce système, la Flandre était française, etc.

J’ai donc décidé de revenir mille ans en arrière, au moment où les Burgondes font leur apparition dans l’histoire euro­péenne. Ce peuple « barbare », moins connu que les Francs ou les Wisigoths, a joué un rôle clé dans la construction de l’Occident chrétien. Il venait probablement d’une petite île de la Baltique qui se nomme aujour­d’hui Bornholm et qui s’appelait jadis ­Burgundarholm [l’île des Burgondes]. Ce qui est incroyable, c’est que, au cours de leur descente vers le sud, ils tentèrent de s’emparer du territoire qui allait devenir un jour la Belgique. Mais ils furent écrasés par les Huns et les Romains, une défaite qui a inspiré La Chanson des Nibelungen.

Après bien des péripéties, ils finirent par s’établir à un endroit auquel ils donnèrent leur nom : la Bourgogne. L’historiographie française aime voir en Clovis le premier chef germanique converti au catholicisme, mais il avait été précédé par un roi burgonde et influencé par son épouse Clotilde, qui était elle-même une Burgonde. Par la suite, le royaume burgonde, sous une forme plus réduite, sera scindé en deux entités : un comté (la future Franche-Comté) et ce qui deviendra en 911 le duché de Bourgogne, lequel relevait du royaume de France et connut un essor religieux sans équivalent. On peut dire que, entre les années 1000 et 1200, la chrétienté a été gouvernée aussi bien de Rome que de Bourgogne, où furent fondés les grands monastères de Cluny puis de Cîteaux.

Venons-en à 1363, date à laquelle le roi de France Jean II donne le duché de Bourgogne en apanage à son fils pré­féré, ­Philippe le Hardi. Six ans plus tard, ce dernier épouse Marguerite de Flandre. C’est à ce moment-là que le destin de la Bourgogne va se trouver lié à ce que vous appelez les Plats-Pays…

Attardons-nous un peu sur la personnalité exceptionnelle de Philippe le Hardi, le moins connu des ducs de Bourgogne – et peut-être le plus impor­tant parce que c’est le premier de cette nouvelle lignée, celui sans ­lequel rien n’aurait été possible. Il est le benjamin des fils du roi de France. Autrement dit, il n’avait, en théorie, pas droit à grand-chose. Simplement, lors de la défaite de Poitiers, en 1356, cette bataille imperdable que Jean II perd quand même contre les Anglais, il fait preuve d’une bravoure telle qu’elle lui vaut son surnom de Hardi et, plus tard, de la part de son père reconnaissant, le duché de Bourgogne. Son frère aîné, Charles V, qui fut l’un des plus grands rois de France, s’entendait très bien avec lui et reconnaissait sa supériorité sur ses autres frères. Il va l’aider à épouser Marguerite de Flandre et à s’approprier ce qui est alors la région la plus riche d’Europe du Nord. Mais Philippe le Hardi ne va pas en rester là. En 1385, il organise le double mariage de son fils, le futur Jean sans Peur, et de sa fille Marguerite avec des enfants d’Albert de Bavière, ce qui, à terme, mènera à l’élargissement des possessions bourguignonnes à la Hollande, à la Zélande, au Hainaut ainsi qu’au Brabant, tous liés féodalement au Saint Empire. La table où fut signé ce double contrat de mariage a été perdue, mais c’est sans doute le meuble le plus impor­tant de notre histoire.

Par ailleurs, Philippe le Hardi fait construire la fameuse chartreuse de Champmol, tout près de Dijon. Et, pour la décorer, il fait venir les plus grands artistes des Plats-Pays, notam­ment le sculpteur Claus Sluter, le Michel-­Ange de la fin du Moyen Âge. Issus de contrées septentrionales qui ne sont pas encore unifiées à ce moment-­là, ceux-ci se rencontrent sur le chantier bourguignon, qui est le grand projet ­esthétique de l’époque. Je serais tenté de dire que, dans notre histoire, les Plats-Pays existent dans les arts avant même d’avoir une existence géopolitique.

Les Plats-Pays : c’est par ce terme inhabituel que l’ensemble formé par la Belgique et les Pays-Bas actuels est désigné dans la traduction française de votre livre. ­Pourquoi ce choix ?

Je parle dans mon livre de ce qu’on appelle en néerlandais Lage Landen ou Nederlanden et en anglais Low ­Countries. En français, dans les travaux universitaires, on utilise toujours la traduction littérale de « Pays-Bas », et le lecteur averti comprend que, dans le contexte des XIVe et XVe siècles, il ne s’agit pas des Pays-Bas actuels. Mais, comme je m’adresse au grand public, je souhaitais éviter toute confusion, si bien que nous avons opté avec les traducteurs pour un autre terme, qui renvoie à Brel et à la Flandre (si impor­tante dans cette histoire). Qui sait si ce terme ne finira pas par s’imposer ?

Comment, concrètement, les ducs de ­Bourgogne ont-ils unifié les Plats-Pays ?

J’ai déjà évoqué la stratégie matrimoniale de Philippe le Hardi. Elle est essen­tielle : il faut bien se rendre compte que ces mariages comptent plus que des batailles, même si les guerres vont aussi contribuer à étendre le ­domaine bourguignon. En la ­matière, le duc ­important est le petit-fils de ­Philippe le Hardi, Philippe le Bon. Entre les deux Philippe, la contribution de Jean sans Peur apparaît plus secondaire, parce que sa vie est entièrement dominée par la guerre civile entre Bourguignons et ­Armagnacs (qu’il a déclenchée en faisant assassiner Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI) et qu’il meurt ­prématurément, assas­siné lui aussi.

Son fils, Philippe le Bon, ­accède très jeune au pouvoir et va ­régner un demi-siècle. Il a tout ce qu’avait son grand-père et qui manquera à son fils, Charles le Téméraire : l’intelligence politique et la patience. Il mène une longue lutte contre sa nièce Jacqueline de Bavière pour récupérer le Brabant, le Hainaut, la Zélande et la Hollande. Le comte de Namur fait faillite ? Il achète son ­domaine. Le puissant évêché ­d’Utrecht est vacant ? Il y place l’un de ses vingt-six bâtards reconnus... Même Liège était devenue un protectorat bourguignon.

De plus en plus, le centre de gra­vité de cet ensemble se déplace du Sud, qui correspond à la Bourgogne et à la Franche-Comté, au Nord, c’est-à-dire aux Plats-Pays. Sous Philippe le ­Hardi, Dijon est encore la capitale. Sous ­Philippe le Bon, c’est Gand, Bruges et, finalement, Bruxelles. Se pose alors la question de l’unité de cet empire constitué de régions disparates. Pour y répondre, Philippe le Bon entreprend des réformes administratives, juri­diques et financières centralisatrices, soutient la fondation de l’université de ­Louvain et crée l’ordre de la Toison d’or, afin qu’émerge une nouvelle élite aux valeurs et aux références communes. Il crée également une monnaie commune. Enfin, sur le modèle français, il inaugure des états généraux en 1464 à l’hôtel de ville de Bruges.

À propos de l’empire de Philippe le Bon, vous parlez d’un « État théâtre ». Qu’entendez-­vous par là ?

Aucun autre prince de son époque ne maîtrise aussi bien l’art de la propagande. Il déploie un faste inouï dans ses « joyeuses entrées » 1, soutient les plus grands artistes de son temps, Jan Van Eyck et Rogier Van der Weyden (dit aussi Rogier de La Pasture), et organise des banquets mémorables. J’évoque dans mon livre un énorme pâté renfermant vingt-huit musiciens ainsi qu’un géant qui se met à batifoler avec une naine venue de Hongrie, un sanglier empaillé chiant des radis quand on lui tire la queue…

Quand, en 1453, arrive la nouvelle du siècle, celle de la chute de Constantinople, comment réagit Philippe le Bon ? Il donne à Lille la fête du siècle, le fameux « banquet du faisan », pour lequel on dispose des gradins autour de la salle, afin que les nobles de moindre rang puissent non pas manger mais regar­der les réjouissances !

Les ducs de Bourgogne sont confrontés à un sérieux problème : la puissance des villes des Plats-Pays. Comment s’en ­accommodent-ils ?

Il faut, en effet, prendre la mesure de la puissance de ces cités. Au XIVe siècle, Ypres compte 30 000 habitants, Bruges, 45 000 et Gand, 60 000. À titre de comparaison, Amsterdam, à la même époque, c’est 1 000 habitants. Paris en compte certes 100 000, mais elle est isolée, tandis que Gand, Ypres et Bruges sont proches les unes des autres. On a affaire à la zone la plus urbanisée d’Europe. Les ducs de Bourgogne ont compris qu’ils devaient composer avec ces villes énormes, d’autant que dans les contrées du Nord existe une tradition d’indépendance : on discute de tout. Quand on considère la création de ce nouvel État, n’imaginons donc pas un duc sur son trône qui décide de tout. Imaginons plutôt une table avec les riches citadins d’un côté et le duc de l’autre. Si Ypres, Gand, Bruges et Bruxelles formaient un front uni, le duc ne ferait pas le poids. Il joue donc une ville contre l’autre. Les deux parties savent, du reste, qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Les villes enrichissent le duc, qui, en échange, favorise leur prospérité en assurant la paix et de bonnes conditions de commerce.

Cela n’empêche pas les tensions, voire les affrontements sanglants. Plusieurs batailles ont lieu. Selon moi, elles sont plus importantes que ­Crécy ou Poitiers. Je sais à quel point ces défaites comptent dans votre roman national, mais, à l’échelle de l’histoire européenne, elles me semblent moins essen­tielles que, par exemple, la bataille de Rosebecque [ou Roosebeke], en 1382, qui voit Philippe le Hardi écraser les ­insurgés gantois. Dans un cas, il s’agit d’une guerre à l’ancienne, une guerre entre chevaliers pour des terres ; dans l’autre, d’une guerre à propos d’une ­vision du monde. L’exemple des Gantois révoltés contre le régime féodal était en train de se propager aux villes françaises. Qui peut dire ce qui se serait passé s’ils l’avaient emporté ? Un 1789 avant la lettre, peut-être.

Comment évoluent les rapports entre ces ducs surpuissants et leur souverain ­légitime, le roi de France ?

Les ducs de Bourgogne sont des nobles français qui le deviennent de moins en moins. Philippe le Hardi, lui, reste français jusqu’au bout. C’est un prince français, qui parle français et va utiliser les ressources du royaume de France à ses propres fins. En 1380, à la mort de son frère le roi Charles V, il ­devient le chef des régents ; il a donc ­accès au trésor royal et peut employer l’armée française. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il l’emporte à Rosebecque. Il est écarté un moment, quand Charles VI atteint sa majorité, mais voilà que celui-­ci devient fou et que Philippe revient au premier plan, jusqu’à sa mort, en 1404. Philippe le Hardi a donc été l’homme le plus puissant de France, son roi offi­cieux, pendant près d’un quart de siècle. Les débuts de l’État bourguignon ­seraient inexplicables sans cela.

L’assassinat de Jean sans Peur, en 1419, avec la complicité du futur Charles VII, marque-t-il une rupture dans la relation entre le duché de Bourgogne et le royaume de France ?

C’est vrai que le fils et successeur de Jean sans Peur, Philippe le Bon, conclut peu après, en 1420, le fameux traité de Troyes, qui livre la France aux Anglais. Dans votre historiographie, cela en fait un traître. Je ne doute pas que son chagrin était sincère, mais je ne crois pas que sa conduite ait été dictée par ses émotions et son seul désir de vengeance. Il était beaucoup trop fin poli­tique pour cela. Il n’a pas agi sur un coup de tête ; je crois au contraire qu’il a réfléchi et que, dans la situation qui était la sienne, il a pris la décision la plus intelligente. Il a fait en sorte que la France et l’Angleterre continuent de s’épuiser mutuellement, afin de pouvoir en profiter, s’engouffrer dans le vide ­ainsi créé. Cela dit, il est incontestable que ce qui prime alors pour lui ce sont les intérêts de l’État qu’il est en train de bâtir.

Il a aussi vendu Jeanne d’Arc aux Anglais…

Oui, mais, là encore, c’est un choix politique. Il avait besoin de la laine ­anglaise, indispensable à l’industrie drapière des Plats-Pays. Il a utilisé Jeanne d’Arc comme monnaie d’échange. On notera cependant qu’il a toujours tenté de garder un équilibre entre Anglais et Français. Il aide les Anglais, mais pas complètement. Ensuite, il redonne ­espoir à la France, mais pas trop. Il tient sans cesse un double langage. Cette ambi­guïté lui permet de créer un ­espace où fabriquer sa propre histoire. Et n’oublions pas que, en 1435, donc quinze ans à peine après le traité de Troyes, il conclut la paix d’Arras avec Charles VII, l’homme qui avait commandité l’assassinat de son père. Je ne sais pas si j’en aurais été capable. Lui agit en homme d’État.

Passons au fils de Philippe le Bon, Charles le Téméraire, considéré comme le dernier duc de Bourgogne. En France, il a une réputation de brute sanguinaire. Est-elle justifiée ?

Oui, mais pas entièrement. Aujour­d’hui, nul doute qu’il se retrouverait ­devant la Cour pénale internationale de La Haye pour avoir incendié Liège et Dinant. En même temps, il parle français, thiois (c’est-à-dire moyen-­néerlandais), anglais, portugais, lit le latin, parsème ses discours de citations. Il compose de la musique, et certaines de ses pièces sont encore jouées de nos jours. C’est un homme de la pré-­Renaissance, un chevalier érudit. Des quatre ducs de Bourgogne, c’est le plus connu en France. Il est le seul à avoir eu droit à deux ou trois biographies. Je crois que c’est dû à son duel épique avec Louis XI qui, au bout de dix ans, s’achève sur une défaite spectaculaire à Nancy. Du point de vue français, c’est comme la finale de la Coupe du monde : vous avez gagné – et gagné sans même être présents, puisque Charles le Téméraire est balayé (et tué) par une coalition de Lorrains et de Suisses.

Je vois en lui un Napoléon raté. Comme Napoléon, c’est un homme du micro- et du macromanagement. Napoléon ­gagnait ses batailles tout en vérifiant les factures des Tuileries la nuit ; il voulait tout contrôler. Charles le Téméraire, c’est pareil, à ceci près que les réformes qu’il entreprend sont trop ambitieuses. Il ne distingue pas ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. Surtout, contrairement au Corse, c’est un piètre militaire. ­Napoléon garde son sang-froid au milieu de la bataille ; Charles, lui, planifie tout sur le papier, jusqu’au moindre ­détail, et quand, le jour J, les événements ne se déroulent pas comme ­prévu, il est incapable d’improviser. C’est un personnage de roman.

Pour vous, cependant, Charles le Téméraire n’est pas le dernier des Bourguignons. Ce titre, vous le réservez à son arrière-­petit-fils, Charles Quint. Pourquoi ?

On en revient à la vision franco-­française selon laquelle, après la victoire sur Charles le Téméraire à Nancy, tout est fini : vous reconquérez le duché de Bourgogne puis vous poursuivez votre propre roman national en vous tournant vers l’Italie. Sauf que, entre-temps, les Plats-Pays continuent d’être bourguignons. Marie de Bourgogne, la fille de Charles le Téméraire, épouse Maximilien de Habsbourg, avec lequel elle a Philippe le Beau, qui épouse, à son tour, Jeanne Ire de Castille, dite Jeanne la Folle, union dont naît Charles Quint. Celui-ci est élevé par sa tante, Marguerite d’Autriche (qui, malgré son nom, est une pure Bourguignonne), à ­Malines, dans un palais rempli de tableaux de primitifs flamands où il s’imprègne du goût des arts et du faste bourguignon. Sa langue maternelle est le français. Ce qui est incroyable, c’est que ce Bourguignon d’éducation et de cœur a fini par posséder presque toute l’Europe et un empire sur lequel le ­soleil ne se couchait jamais. Mais, quand il était seul, il se sentait frustré parce qu’il n’avait pas réussi à reprendre Champmol, où il aurait voulu être enterré au côté de ses ancêtres bourguignons.

Charles Quint est le dernier à respirer ce mélange de Nord et de Sud, à se revendiquer duc de Bourgogne. Avec son fils Philippe II, c’est terminé : lui ne parle plus la langue, il est complètement hispanisé. Le monde des Bourguignons lui est devenu étranger. 

— Propos recueillis par Baptiste Touverey.

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Le piment est aujourd’hui indissociable de la cuisine chinoise. Et pourtant, l’historien américain Brian Dott montre que ce fruit originaire d’Amérique s’est implanté presque par hasard en Chine. Il y serait arrivé à la fin du XVIe siècle via l’Espagne et le Portugal dans les cuisines des navires marchands. Contrairement à d’autres épices comme le poivre noir ou la muscade, il était très bon marché et facile à cultiver. Les marins auraient donné ce « bon plan » à de petits cultivateurs locaux.

« Cette transmission discrète rend difficile à déterminer où et quand exactement le piment a été pour la première fois cultivé et consommé dans les différentes régions de Chine », souligne la spécialiste de la cuisine chinoise Fuchsia Dunlop dans l’hebdomadaire britannique The Spectator. Les traces écrites de cette arrivée sont effectivement rares : les élites chinoises jugeant vulgaire la nourriture épicée, les livres de cuisine ne commencent à mentionner le piment que vers 1790. « Brian Dott assure que l’intégration du piment dans la médecine traditionnelle a été la clé de sa diffusion à travers toute la Chine », précise Fuchsia Dunlop. 

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À en croire le Dictionnaire ­historique de la langue française, le mot « autocrate » était à l’origine employé dans un sens restrictif issu du grec ancien : « la personne qui exerce un pouvoir ­absolu et qui ne détient ce pouvoir que d’elle-même ».

Il s’agit d’un personnage fictif, car aucun pouvoir n’est absolu, et, même lorsque le dictateur se fait tyran, il ne détient pas son pouvoir entièrement de lui-même, du moins à l’origine.

Le mot « autocratie » désigne aujour­d’hui valablement les régimes autoritaires fermés, qui n’acceptent pas d’être contestés par les urnes ou d’autres moyens. Mais cette catégorie comporte elle-même des variations. La Corée du Nord et la Chine n’ont pas le même ­système politique.

Nous nous intéressons dans ce dossier à une autre catégorie, en plein essor dans le monde : celle de régimes mixtes, ­hybrides, dans lesquels une autocratie, personnelle ou institutionnelle, s’accommode d’élections plus ou moins pluralistes et d’autres attributs habituellement associés aux démocraties. Ces autocraties électives concernent plus de la moitié de la planète et nourrissent les aspirations de nombreux partis et politiciens au sein des vieilles démocraties. Donald Trump est l’exemple le plus patent de ces aspirants autocrates. Qu’il ait pu être élu à la surprise générale à la tête de l’État le plus puissant du monde, qui est aussi la plus vieille démocratie, témoigne d’une évolution de grande ampleur.

Dans les années 1980 et plus encore dans la décennie suivante, après la chute de l’URSS, il semblait aller de soi que le régime démocratique allait peu à peu s’imposer dans la majorité des pays. Il a fallu déchanter. Aux avancées ont succédé maints retours en arrière et, depuis 2006, la régression est constante. Les experts se perdent en conjectures pour expliquer ce renversement de tendance. L’un des arguments les plus solides porte sur les craintes suscitées par la mondialisation, source de transformations socio-économiques et surtout culturelles très rapides.

Si l’on se penche sur les événements les plus récents, 2020 verra peut-être la non-réelection de Trump et la chute de la dictature biélorusse. Mais les autres dictatures se portent bien (Chine) ou résistent efficacement (Venezuela, Congo, Kazakhstan…) et les évolutions régressives sont nombreuses.

En Amérique latine, on l’observe au Brésil, au Mexique, au Salvador et, dans une moindre mesure, au Pérou, au Guatemala, en Équateur et en Bolivie. En Europe, c’est le cas en Hongrie, en Pologne, en Turquie, en Serbie et, bien sûr, en Russie. En Afrique, on le constate en Zambie, en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, au Togo et au Mali, entre autres. En Asie : en Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande, en Malaisie, en Birmanie, aux Philippines, en Indonésie et, à présent, à Hong Kong. Dans bien des cas, la pandémie de Covid-19 a servi de prétexte pour serrer la vis.

L’Inde constitue un exemple frappant. La démocratie la plus peuplée du monde continue d’être classée par l’ONG américaine Freedom House parmi les pays « libres ». En Asie continentale, c’est la grosse exception qui confirme la règle. Est-ce justifié ? Freedom House souligne elle-même le caractère tout relatif de son appellation « libre » en consacrant dans son rapport 2020 une page aux principales atteintes aux droits démocratiques commises par le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi en 2019 : blocage de l’accès à Internet, répression de manifestations, harcèlement et intimidation de journalistes, d’universitaires et autres personnes qui traitent de sujets sensibles.

Narendra Modi fait partie du club des autocrates élus les plus en vue, avec Jair Bolsonaro au Brésil, Andrés Manuel López Obrador au Mexique, Rodrigo Duterte aux Philippines, Viktor Orbán en Hongrie, Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, Andrzej Duda en Pologne, Benyamin Netanyahou en Israël et, bien sûr, Vladimir Poutine. Ils se reconnaissent et s’apprécient, même lorsque leurs intérêts divergent. Mais c’est la partie émergée de l’iceberg.

Si les autocraties électives ont fait leurs preuves, c’est que des élections bien menées, même faussées, contribuent à légitimer un pouvoir, auprès des masses mais aussi des élites nationales et internationales. Le phénomène n’est pas nouveau : pensons à Napoléon III, à Perón, à de Gaulle. Ce qui est nouveau, c’est leur nombre.

Cela a de quoi déconcerter : partout, le niveau d’études a beaucoup progressé, facteur souvent associé à l’enracinement des valeurs démocratiques. Or c’est le contraire qui se produit. Même en ­Europe. Dans un livre récent, Yan Xuetong, qui dirige le département de relations internationales à l’université Tsinghua de Pékin, observe malicieusement que moins du tiers des jeunes Européens placent la démocratie parmi « les cinq valeurs auxquelles ils sont le plus attachés ». Aux États-Unis, l’élévation du niveau d’instruction ne semble pas avoir contribué à réduire le degré d’ignorance de l’électeur moyen sur les sujets d’intérêt général ; un point de vue que défend enquêtes à l’appui le juriste Ilya Somin dans un livre intitulé « Démo­cratie et ignorance politique ». Un peu partout, la hausse du taux ­d’abstention témoigne d’une désaffection mais aussi d’une défiance à l’égard de la politique.

La désaffection est curieusement palpable même au sein des médias et chez les intellectuels. Comme l’observe David Bromwich, professeur à Yale, contrairement à l’impact produit dans les années 1970 par la fuite des Pentagon Papers, des documents détaillant l’implication des États-Unis au Vietnam, les Afghanistan Papers, divulgués récemment par The Washington Post, qui décrivent dix-huit années d’absurde gâchis, n’ont pas fait lever un sourcil. « L’indifférence est devenue la règle », écrit-il.

Dans un livre paru en 2017, Stephan Haggard, de l’Université de Californie, et Robert Kaufman, de l’université Rutgers, croient pouvoir incriminer un « syndrome de faiblesse démocratique ». On voit même certains intellectuels, pas seulement de droite, prendre position « contre la démocratie » – titre d’un livre de Jason Brennan. Ce professeur de philosophie politique de l’université de Georgetown appelle à limiter le pouvoir politique que les ignorants et les incompétents exercent sur les autres. « Retirer le droit de vote à 80 % des électeurs blancs pourrait être exactement ce dont les Noirs pauvres ont besoin », écrit-il. Ce qui est sûr, c’est que les autocrates élus, aujourd’hui comme hier, excellent dans l’art de tirer profit de l’ignorance des masses. Internet aidant, les techniques de manipulation des esprits se développent.

Il est tentant de généraliser mais, en raison des différences de contexte, l’exercice trouve vite ses limites. Témoin les trois principaux articles de ce dossier : pour stimulantes qu’elles soient, les comparaisons tournent court, que ce soit entre Trump et Orbán, entre Trump et Poutine ou même entre López Obrador et Chávez. López Obrador admire Trump, qui embrasse Netanyahou, se fait donner une sérénade par Duterte et dit admirer Xi Jinping, mais chacun est chez soi.

Et l’avenir peut réserver de bonnes surprises. Si Trump n’est pas réélu, on vantera les capacités de résilience de la démocratie américaine. En cette année 2020, Duda et Netanyahou auraient pu ne pas être réélus et seraient aujourd’hui écartés du pouvoir. En Italie, Matteo Salvini a mordu la poussière. Enfin, gardons-nous de tout angélisme démocratique. Un autocrate, même non élu, n’est pas forcément le diable. Pensons à Hadrien, à Chah Djahan…

Dans ce dossier :

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En l’espace d’une décennie, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et son parti, le Fidesz, ont transformé une démocratie en quelque chose de proche d’une autocratie. Peu après sa première réélection, en 2014, Orbán a prononcé un discours dans lequel il exposait les grandes lignes de son projet politique. Invoquant les échecs socio­économiques de la mondialisation, il défendait le cap qu’il avait fixé en observant que les pays les mieux préparés pour l’avenir n’étaient « pas les démo­craties libérales, et peut-être même pas les démo­craties ». S’appuyant sur ce message, il définissait les contours d’un nouveau type de ­régime : « La nation hongroise, disait-il, n’est pas une simple somme d’individus, mais une communauté qui doit être ­organisée, renforcée et développée. En ce sens, le nouvel État que nous construisons est un État illibéral, un État non libéral. »

La Hongrie devait être ancrée dans l’idée du nationalisme, estimait Orbán ; ce nationalisme exigeait une poigne auto­cratique, et cette poigne il n’y avait que lui et le Fidesz qui pouvaient l’avoir. L’identité de la nation hongroise et la politique de Viktor Orbán seraient une seule et même chose.

Orbán a passé des années à préparer son pays à ce virage. Au cours de son premier mandat (1998-2002), il s’est systématiquement employé à refondre les institutions démocratiques hongroises. Les circonscriptions ont été redécoupées au profit du Fidesz. Le droit de vote a été accordé aux Hongrois de souche vivant dans les pays voisins. Les tribunaux ont été méthodiquement peuplés de juges de droite. Les copains du Fidesz ont eu la possibilité de s’enrichir, et, en retour, l’élite économique a financé la politique d’Orbán. Le gouvernement a bâti une machine de propagande massive, les médias indé­pendants ont été harcelés puis rache­tés et ceux de droite transformés en quasi-­organes gouvernementaux. Alors que la politique étrangère du Fidesz était jusque-là fondée sur l’oppo­sition à la domination russe, Orbán s’est rapproché de Vladimir Poutine et a cherché à attirer les investissements russes avec la corruption qui va avec.

Aux États-Unis, le Parti républicain emprunte une voie semblable depuis une décennie. Les dégâts de la crise finan­cière de 2008 ont été exploités par le Tea Party, un mouvement populiste de droite qui procurait un sentiment d’appartenance à un pan de l’électorat majoritairement blanc et chrétien. Les Républicains ont procédé à un redécoupage des circonscriptions à leur profit. La moitié des États américains ont voté des lois électorales restreignant le droit de vote. Dans l’Amérique d’après l’arrêt Citizens United, les Républicains ont enrichi une élite de donateurs qui a ­dépensé des milliards en faveur d’une politique de droite 1. La chaîne Fox News est le principal rouage d’une ­machine de propagande tentaculaire, qui englobe la télévision, la radio, les sites Internet et les réseaux sociaux. Le parti s’est focalisé sur la justice, en bloquant les nominations proposées par Barack Obama puis en accélérant la transformation du système judiciaire sous Donald Trump. Et, comme le Fidesz, le Parti républicain, qui avait des positions hostiles à la Russie, lui fait à présent cyniquement la cour tout en déniant son ingérence dans notre ­démocratie.

En Hongrie, pour justifier sa démarche, Orbán a habilement et implacablement mis en place un populisme de droite fondé sur les défaillances de la démocratie libérale et l’attrait pour l’histoire du pays : l’identité chrétienne, la souveraineté nationale, la méfiance à l’égard des institutions internationales, le rejet de l’immigration et la détestation des élites libérales politiquement correctes. Il s’agissait de briser le statu quo, de faire en sorte que les masses se sentent puissantes en répondant à leurs doléances. Nous contre eux. ­Sandor ­Lederer, un militant anticorruption hongrois qui dirige l’ONG K-Monitor, résume ainsi cette rhétorique : « Nous devons protéger les Hongrois contre ceci ou cela, et on peut ajouter à l’infini de nouveaux ennemis » – les multinationales, les musulmans, les migrants, les eurocrates, les médias de gauche et George Soros.

De même, aux États-Unis, Donald Trump a imprimé une direction illi­bérale et nationaliste à son parti et conforté une ligne autoritaire. Comme Orbán, il canalise le mécontentement en désignant tour à tour une série de boucs émissaires pour animer une poli­tique du « nous contre eux » à carac­tère ethno-nationaliste. Mais ses saillies parfois bouffonnes ne doivent pas occul­ter ce qui se passe au-delà de son compte Twitter. Conformément à l’engagement pris par Steve Bannon après l’intronisation du président, le gouvernement vise la « déconstruction de l’État administratif » 2 au mépris des normes démocratiques, en promouvant les loyalistes, en amnistiant les alliés de Trump, en réaffectant la dépense publique pour contourner les objections du Congrès, en faisant pression sur des gouvernements étrangers pour qu’ils enquêtent sur les adversaires du président, en limogeant des inspecteurs généraux, en bafouant les règles éthiques et en refusant de se soumettre au contrôle législatif.

Après sa première réélection, en 2014, Orbán s’est attaché à persécuter encore davantage ses ennemis. Ses adversaires politiques, la société civile et les médias indépendants sont soumis à un harcèlement incessant qui se traduit notamment par des campagnes de désin­formation et des ­menaces de procès. La Hongrie a achevé la construction d’une clôture pour empêcher les migrants ­d’entrer. Les théories du complot sur George Soros se sont muées en une politique qui sert à tout justifier, notamment les restrictions à la liberté d’association et à la liberté d’expression, et les enquêtes bidon. La corruption a pris de l’ampleur et entache les dépenses publiques. La Hongrie a été blanchie de ses péchés historiques, notamment sa complicité dans la Shoah ; les statues imposantes qui ont été érigées et la révision des programmes scolaires ancrent l’avenir de la Hongrie dans son passé fasciste.

Les coups de canif portés à la démocratie hongroise ont permis à Orbán d’être réélu pour un troisième mandat en 2018 avec moins de la moitié des suffrages exprimés, ce qui ne l’empêche pas de détenir tous les leviers du pouvoir. Si Trump est réélu à l’automne, ce sera aussi à coup sûr avec moins de la moitié des suffrages. Et, dans cette hypo­thèse, le système et la culture poli­tiques des États-Unis ressembleraient encore davan­tage à ceux de la Hongrie.

Je me suis rendu à Budapest en ­février dernier. À première vue, la capi­tale hongroise ressemble à bien des égards à celle de n’importe quelle autre démocratie occidentale, jusqu’à ce qu’on réalise à quel point la domination du Fidesz et le popu­lisme d’Orbán façonnent la vie publique. Il existe toujours une presse indépendante, mais elle est ghettoïsée sur des sites Internet que ne consulte guère qu’une élite cosmopolite. Comme me l’a expliqué le journaliste d’investigation Szabolcs Panyi, Orbán peut compter sur sa ­machine de propagande pour atteindre la plupart des Hongrois tout en dénigrant constamment les journalistes indépendants. « Vous savez, me dit-il, décrivant le processus de délégitimation de la réa­lité objective, il n’y a pas de faits, il n’y a que des opinions, tout est partisan. » Il y voit une guerre psychologique visant à « détourner notre attention en la faisant porter non plus sur notre travail de journalistes mais sur ce qu’ils colportent sur nous ».

Les organisations de la société civile sont tout autant harcelées. Márta ­Pardavi, coprésidente du Comité Helsinki hongrois, qui veille au respect des droits de l’homme, évoque la salve de décrets que son organisation a contestés devant les tribunaux, ainsi que les attaques dont le comité est la cible dans les médias pro-Fidesz. Des journalistes de droite ont campé devant le bureau du comité et dénigrent régulièrement son travail. Ces actions visent à démoraliser les gens, à les dissuader de participer à la vie publique. Voici, me dit-elle, le message qu’Orbán cherche à faire passer : « La politique, c’est risqué, c’est sale, c’est corrompu, donc il vaut mieux s’en tenir à l’écart. » Une incitation à l’apathie destinée à éliminer l’opposition.

Lederer voit un dénominateur commun entre Orbán et Trump : « Vous créez un gros scandale de toutes pièces afin que les gens ne parlent pas des vrais problèmes du pays, de sorte que vous avez un faux débat complètement hors de propos sur des choses symboliquement importantes, mais jamais sur la façon dont vous dirigez le pays ou dont celui-ci fonctionne. » C’est cela, déplore Márta Pardavi, le vide qui a caractérisé la politique d’Orbán dans sa quête de pouvoir. Au lieu de proposer des solutions, « il se borne à instrumentaliser la haine ». Et toute cette haine ne sert aucun but réel. « Le plus triste et le plus inquiétant dans tout cela, c’est que ce régime a été conçu pour qu’Orbán reste au pouvoir et que le Fidesz soit richement doté. » Orbán peut bien manier la rhétorique nationaliste, son véritable objectif est de se maintenir au pouvoir.

Orbán et Trump s’inscrivent dans un contexte de montée de dirigeants nationalistes et autoritaires partout dans le monde – du Brésil à la Russie, en passant par la Turquie, l’Inde, la Chine et les Philippines. Leur succès repose sur un argument qu’Orbán a fait valoir haut et fort après sa réélection : la mondialisation et la démocratie libérale ont échoué et une forme plus traditionnelle de nationalisme est nécessaire pour que leurs pays retrouvent leur grandeur. Et quand on regarde vers le passé, on ne peut que constater que le nationalisme autoritaire est en fait la norme et que la démocratie libérale est une exception d’après-guerre.

Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale avaient sensibilisé l’opinion aux dangers du nationalisme autoritaire et aux dégâts qu’il pouvait faire dans les pays eux-mêmes et dans les relations entre eux. Aujourd’hui, on semble avoir oublié la leçon.

Steve Bannon a un jour dit d’Orbán qu’il était « un Trump avant l’heure ». Quelques semaines après le début de la pandémie de Covid-19, Orbán s’est ­octroyé des pouvoirs quasi dictatoriaux et a fait placer en garde à vue des ­citoyens pour des délits aussi insignifiants que de critiquer le gouvernement sur Facebook. Les États-Unis n’en sont pas encore à ce stade d’autocratie. Mais la police d’assurance de notre démocratie est censée être la résilience de nos institutions, et il est amplement prouvé chaque jour qu’elles sont en train de se transformer sous nos yeux. D’obstacles pouvant contenir les impulsions de ­Trump, elles deviennent des outils pour punir ses adversaires. Et des choses autrefois inimaginables dans la vie poli­tique américaine – par exemple le fait que le président dise régulièrement souhaiter que ses adversaires soient jetés en prison – ne suscitent guère d’émoi. Trump lui-même n’hésite pas à dire tout le bien qu’il pense des autocrates, à commencer par Orbán. Lorsqu’il l’a reçu en 2019 à la Maison-Blanche, il l’a félicité pour le « boulot formidable » qu’il fait, en ajoutant qu’il était, « comme [lui], un peu controversé, mais c’est normal ».

Orbán a montré que, après avoir remporté une élection, un dirigeant et son parti pouvaient démanteler la démocratie tout en servant à la population un cocktail de nationalisme et de haine. C’est, je le crains, ce que donnera un deuxième mandat de Trump, à moins que les électeurs ne le reconduisent pas en novembre. Ce scénario optimiste, pour les États-Unis comme pour la Hongrie, augurerait d’une réaction de rejet plus vaste à l’égard d’un type de politique dangereux qui a échoué dans la crise actuelle et n’offre qu’un avenir plus sombre.

— Ben Rhodes a été l’un des conseillers de Barack Obama en matière de sécurité nationale. Il copréside le think tank National Security Action. Il a publié en 2018 Obama confidentiel. Dix ans dans l’ombre du président (Saint-Simon, 2019, lire Books no 95, mars 2019).

— Cet article est paru dans le mensuel américain The Atlantic le 15 juin 2020. Il a été traduit par Nicolas Saintonge.

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« On dira peut-être que je suis messianique,  mais je vais purifier le pays.  »

Andrés Manuel López Obrador

Parmi les « despotes élus » de notre époque, des hommes forts qui abolissent la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, brident la liberté d’expression et cherchent à subvertir la démocratie, la presse internationale mentionne Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdoğan, Narendra Modi, ­Nico­lás ­Maduro, Rodrigo Duterte, Jair Bolsonaro, Benyamin Netanyahou, Matteo ­Salvini 1 et Donald Trump, mais elle oublie le plus souvent Andrés Manuel López Obrador. L’omission est étrange, car AMLO, comme on surnomme le président mexicain, a tout pour figurer en bonne place dans cette liste.

Né en 1953 dans l’État de Tabasco, dans le sud-est du pays, AMLO a d’abord été un membre actif du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), au pouvoir pendant soixante-dix ans. En 1989, il rejoint les rangs de la nouvelle formation de gauche, le Parti de la révolution démocratique (PRD), dont il gravit les échelons jusqu’à en devenir le président (de 1996 à 1999). En 2000, il est élu maire de Mexico. En 2006, il perd l’élection présidentielle à 243 934 voix (0,62 %) près face à Felipe Calderón et se proclame immédiatement « président légitime » du Mexique. À partir de ce moment-là, il critique inlassablement la guerre agressive et inefficace de Calderón contre la drogue. Il perd à nouveau en 2012 face à Enrique Peña Nieto, dont il critique avec tout autant de virulence l’administration corrompue. En juillet 2018, lors de sa troisième tentative, AMLO est élu président avec 53,19 % des voix. Fin 2019, un an après son arrivée au pouvoir, il affiche une cote de popularité de 72 %.

À l’évidence, AMLO incarnait pour de nombreux Mexicains un espoir de rectitude et de renouveau. Une grande partie de la population en avait tout bonnement assez du PRI, qui avait gouverné le pays de 1929 à 2000, puis de nouveau de 2012 à 2018, et du Parti action nationale (PAN), la formation de droite au pouvoir de 2000 à 2012. Mais il y a une autre raison à sa popularité : l’aura religieuse qui l’entoure. Jusqu’à ce que la pandémie de Covid-19 le contraigne à interrompre sa tournée en avril 2020, López Obrador arpentait chaque semaine les municipalités du Mexique, une initiative qu’il qualifiait lui-même, avec ses habituelles références religieuses, d’« apostolique » et que de vastes pans de la population jugeaient effectivement authentique et empreinte d’humanité. Alors que Peña Nieto passait ses week-ends à jouer au golf, AMLO faisait le tour du pays pour parler aux gens et prendre des selfies. La « bonne nouvelle » qu’il prêche n’est pas simplement un changement de gouvernement ou même un nouveau régime, mais l’avènement – au sens religieux du terme – d’une nouvelle ère d’égalité, de prospérité et de justice.

Le parallèle avec l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez est éclairant, malgré des différences de taille. À la différence de Chávez, AMLO ne cherche pas à devenir une célébrité internationale, ni même latino-américaine. Il est indifférent, pour ne pas dire allergique à l’argent, et n’a jamais eu, que l’on sache, d’activité commerciale illicite (ni même licite). Il n’est pas particulièrement nationaliste comme Chávez ou la plupart de ces « despotes élus », et encore moins raciste comme Trump, qu’il traite avec une obséquiosité sans précédent dans l’histoire de la diplomatie mexicaine. Chaque fois que Trump insulte le Mexique et les Mexicains, AMLO garde un silence discret. Pis, il se vante d’avoir l’amitié du président américain et cède à ses menaces d’augmenter unilatéralement les droits de douane si le Mexique ne se conforme pas à sa politique punitive de contrôle de l’immigration.

On constate toutefois des similitudes troublantes entre Chávez et AMLO. Chávez faisait tous les dimanches une allocution à la télévision dans son émission marathon, « Aló Presidente » Allô président»]. AMLO se produit du lundi au vendredi de 7 heures à 8 h 30 ou 9 heures au Palais national ou dans tout autre endroit du pays où il se trouve, dans ce qu’il appelle les mañaneras [«matinales»]. Il ne s’agit pas à proprement parler de conférences de presse. Ce sont des messes civiques, des prêches qui sont diffusés massivement à la télévision et sur les réseaux sociaux, ce qui en fait la principale, voire la seule, source d’information pour la majorité des Mexicains. Les rares fois où des journalistes sérieux viennent à ces matinales et posent des questions embarrassantes, le président les snobe, les dénigre ou dément leurs propos, en affirmant disposer d’« autres éléments » (la version mexicaine des « faits alternatifs »). Comme les stations de radio et les chaînes de télé­vision au Mexique sont des concessions octroyées par l’État, certaines préfèrent éviter un affrontement direct avec ­López Obrador. Seuls quelques quotidiens et magazines indépendants survivent, et quelques voix critiques se font entendre sur des sites Internet et dans des émissions de radio et de télévision. L’humour politique, qui était une grande tradition mexicaine, se réfugie désormais dans les dessins de presse et sur les réseaux sociaux. Pas d’émission de satire politique à la télévision : le président ne le tolérerait pas.

Comme Chávez, AMLO monte à dessein les uns contre les autres. Le premier excitait le « peuple bolivarien » contre les escuálidos [«rachitiques»] et les piti­yanquis [«proaméricains»] ; le second ­divise les Mexicains entre « le bon peuple » qui l’acclame sur les places et les « conservateurs » qui s’opposent au « changement véritable ». López Obrador possède un stock fourni d’épithètes désobligeantes pour dénigrer ses adversaires, parmi lesquelles « complice », « apprenti pickpocket », « profiteur », « gandin » ou « petit mafieux ». Le poète et essayiste Gabriel Zaid l’a qualifié dans Letras libres de « poète de l’insulte ».

Un autre point commun est l’usage politique que les deux hommes font de l’histoire. Chávez se pensait la réincarnation de Simón Bolívar au XXIe siècle. Pour AMLO, l’histoire est un oracle qu’il consulte dans deux perspectives qui convergent sur sa personne : la « théorie des grands hommes » et le scénario de la révolution sociale pacifique. En ­vertu de la théorie, l’histoire mexicaine est une galerie de héros que López Obrador cherche à égaler et à surpasser. Selon le scénario, l’histoire est une promesse de rédemption sociale non tenue, déformée, trahie, qu’il convient d’honorer par une « quatrième transformation » conduite par lui, et dont le but sera de parachever l’œuvre de l’Indépendance (1810-1821), de la Réforme (1857-1860) et de la ­Révolution (1910-1920).

Si Chávez recourait à l’occasion à la symbolique chrétienne, il s’agit pour AMLO d’un outil essentiel qui s’est avéré décisif dans un pays religieux comme le Mexique. Dans un article publié dans ­Letras libres peu avant la présidentielle de juillet 2006, je l’avais qualifié de « Messie tropical ». En tant que défenseur des pauvres persécutés par les riches, il se comparait alors (et se compare toujours) au Christ. Et il était reconnu comme tel. « Tu es notre messie », disait une pancarte que portait un vieil Amérindien dans un village reculé de l’État d’Oaxaca. L’adjectif « tropical » n’était pas de moi, mais de lui. Dans le premier volet de son livre El poder en el trópico, paru dans les années 1980 et consacré à l’histoire du Tabasco, AMLO assimilait le caractère passionné des politiques locaux à la nature « tropicale » de la région, avec ses ­forêts impénétrables et ses rivières ­tumultueuses. Ce messianisme tropical se mani­feste dans sa volonté de fonder à partir du pouvoir présidentiel absolu un Mexique débarrassé de la corruption, un Mexique moral, un Mexique pur. Pour y parvenir, il dispose de milliers de jeunes embauchés par l’État. Ces « serviteurs de la nation » parcourent le territoire, « moralisent » la population et recensent les besoins d’aide sociale.

Le mot « citoyen » est absent du vocabulaire d’AMLO. N’y figure qu’une entité collective nommée « le peuple ». Les 47 % de citoyens qui se sont rendus aux urnes mais n’ont pas voté pour lui ne sont pas « le peuple », pas plus que les 36,58 % du corps électoral qui se sont abstenus. Il cherche à « faire l’histoire » (le slogan de sa campagne) par une « révolution » pacifique visant à redonner à l’État l’hégémonie politique, économique, sociale, éducative et idéologique qu’il eut sous le régime du PRI pendant une bonne partie du XXe siècle. Il s’agit à l’évidence d’une restauration, d’un retour à ce passé, mais avec des éléments inédits. Les présidents issus du PRI bénéficiaient d’une concentration excessive des pouvoirs, mais ils ne furent jamais maîtres du parti (qui était une confédération d’organisations d’ouvriers, de paysans et de fonctionnaires ainsi qu’une machine électorale). Leur charisme personnel importait peu : ce qui comptait, c’était qu’ils soient investis par le parti. Et puis ils se heurtaient à la limite infranchissable d’un seul mandat de six ans. AMLO, c’est autre chose. Il contrôle son parti, le Mouvement de régénération nationale (Morena). Il tire son pouvoir de ses prérogatives constitutionnelles, mais aussi de son investiture et de son charisme. Il est un rédempteur au pouvoir. Et les rédempteurs n’ont pas pour habitude de respecter les limites, qu’elles soient juridiques, institutionnelles ou temporelles.

AMLO est guidé dans son action par ce qu’il appelle « des idéaux et des principes » qui lui semblent inattaquables parce qu’ils émanent de lui, de sa supériorité morale autoproclamée, et qui le dispensent de songer aux conséquences pratiques de ses actes, dont il exclut qu’elles puissent être négatives et qu’il n’a donc pas besoin de calibrer, de surveiller ou, éventuellement, de corriger.

Mais les effets de son action au cours de sa première année au pouvoir n’ont pas été très encourageants et, à présent, en pleine pandémie, ils sont devenus tragiques. Les paradoxes de son programme social ont toujours été flagrants. « Pour le bien du Mexique, les pauvres d’abord », était son slogan de campagne depuis les années 2000. Ce message percutant se concrétise aujourd’hui par un vaste plan de lutte contre la pauvreté. C’est une bonne idée qu’AMLO avait expérimentée auprès des seniors pendant son mandat à la mairie de Mexico (2000-2005). Le programme de transferts en espèces, qui doit bénéficier à plus de 20 millions de personnes, présente de graves défauts de conception, à commencer par son ciblage. Ce sont les « serviteurs de la nation » qui élaborent les listes de bénéficiaires, avec les risques d’arbitraire et de clientélisme que cela comporte. Jusqu’à récemment, les « serviteurs » se présentaient non pas comme des agents de l’État mexicain, mais comme des représentants du ­Morena et du président lui-même.

AMLO avait l’idée de lancer une ­série de « projets de développement » : la plantation de 266 millions d’arbres entre 2019 et 2020 dans le sud-est du pays, la création d’une centaine d’universités publiques, l’octroi de bourses à des millions de jeunes ni étudiants ni en emploi, l’ouverture des premières 1 300 agences du Banco del Bienestar, la banque ­sociale qui devait accorder des microcrédits aux pauvres. Tous ces projets ont capoté ou ont été arrêtés en raison de leur improvisation ou de leur infaisabilité. Leur financement devait être assuré par des coupes arbitraires pratiquées dans le budget de l’État ou dans la dotation d’autres programmes.

Avant même la pandémie, ce tarissement de la dépense publique dans des secteurs essentiels a mis à mal des institutions cruciales pour les Mexicains pauvres, telles que l’Institut mexicain de sécurité sociale ainsi que les dix-huit instituts nationaux de santé et hôpitaux hautement spécialisés (dont le budget 2020 a été amputé de l’équivalent de 153 millions d’euros). Tous ont connu d’importantes pénuries de médi­caments et de matériel hospitalier, que López Obrador a mis sur le compte de la « corruption » de l’industrie pharmaceutique et des médecins, et non de ses ­mesures d’austérité irrationnelles. Plus grave encore a été le démantèlement du Seguro Popular – un régime d’assurance maladie destiné aux travailleurs informels, créé en 2003 et donné en exemple dans le monde entier – au profit d’une nouvelle instance non opérationnelle, l’Institut national de santé pour le bien-être (Insabi), ce qui a privé du jour au lendemain 53 millions de personnes de couverture santé.

Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire, ces décisions se révèlent lourdes de conséquences. Le Mexique ne dispose pas du matériel et des médicaments nécessaires pour affronter la pandémie, et il figure parmi les pays qui ont effectué le moins de tests de dépistage : 0,6 pour 1 000 habitants, contre 27,7 en moyenne dans les pays de l’OCDE. Le nombre de contaminations et de décès a beau augmenter de jour en jour, le gouvernement est dans le déni. Des semaines après que le premier cas se fut déclaré fin février, López Obrador continuait à parcourir le pays, organisant des réunions de masse et invitant la population à se rassembler, à faire la fête et à s’embrasser. Quand les quotidiens The New York Times, The Wall Street Journal et El País ont révélé que le nombre réel de personnes contaminées ou décédées à Mexico était au moins trois fois supérieur aux chiffres officiels, AMLO s’en est pris à eux dans le plus pur style ­trumpien, les qualifiant de « journaux célèbres, mais sans éthique ». Lors de l’une de ses mañaneras, il a brandi des amulettes et des images pieuses pour conjurer le virus 2.

Puisqu’il était évident que les électeurs d’AMLO seraient les premiers à pâtir du démantèlement du système de santé, pourquoi n’y a-t-il pas eu de protestations de masse ? Les marques de mécontentement se sont certes multipliées depuis le début de 2020, mais essentiellement sur les réseaux sociaux, qui représentent surtout les classes moyennes urbaines. Une explication possible est l’omni­présence de la propagande d’État à la radio et à la télévision. Mais il y a aussi la culture politique solidement enracinée de millions de personnes qui méconnaissent le sens de la représentation politique, ignorent ce que signifie l’obligation de rendre des comptes et considèrent le président comme le ­détenteur légitime du pouvoir, et d’autant plus légitime qu’il travaille sans relâche et sillonne le pays de long en large, et parle à leur cœur comme aucun autre président ne l’a jamais fait.

Sur le plan économique, les « idéaux et principes » d’AMLO se bornent à privilégier l’État sur le marché, dont il rejette ou ne comprend pas les méca­nismes. Mais sa politique est pour le moins ambi­guë. D’un côté, avec un mépris des experts semblable à celui de Trump, il a sabré le budget de la santé, de l’enseignement supérieur, de la culture et la recherche scientifique. De l’autre, il cherche à renforcer les entreprises publiques du secteur des hydrocarbures et de l’énergie et est en passe de leur redonner le statut de monopole dont elles jouissaient il n’y a encore pas si longtemps.

L’un de ses dogmes est de considérer le pétrole comme une sorte de sève existentielle pour le Mexique, et Pemex, la compagnie pétrolière publique, comme le principal levier de développement. ­López Obrador affiche un mépris de l’écologie aussi marqué et cynique que celui de Trump et de Bolsonaro. La construction d’une raffinerie, si elle est maintenue, sera un éléphant blanc qui favorisera de surcroît le recours aux hydro­carbures plutôt qu’aux énergies renouvelables. Les entreprises du secteur de l’éolien et du solaire qui devaient commencer le test final pour opérer dans le réseau électrique national ont vu leurs permis annulés, tandis que la Commission fédérale de l’électricité ­favorise les investissements dans le charbon et le fioul plutôt que dans les centrales géothermiques ou ­hydroélectriques.

AMLO avait promis durant sa campagne que l’économie mexicaine croîtrait à un rythme annuel de 4 %. En 2019, pour la première fois depuis la crise financière mondiale de 2008, elle s’est contractée de 0,1 %. La principale raison de la stagnation économique était ­patente avant même le ­Covid-19 : les investisseurs privés, qui comptent pour environ 90 % de l’investissement total, avaient déserté. Il s’agissait et il s’agit toujours d’un problème de confiance, qui trouve son origine dans le caractère illibéral de la « quatrième transformation ». En l’espace d’un an, le président est parvenu à une concentration inédite des pouvoirs, puisque le Congrès lui est acquis (le Morena et ses alliés disposent de la majorité absolue dans les deux chambres) ainsi que plusieurs assemblées législatives d’État, et bon nombre de maires et de gouverneurs.

Pour ce qui est des principales autorités indé­pendantes, AMLO contrôle la Commission nationale des droits de l’homme et la Commission de régulation de l’énergie, dont le président a démissionné en invoquant des « divergences de vues ». La Banque du Mexique, fondée en 1925, conserve son indépendance, tout comme l’Institut national électoral (INE), qui a fait la preuve de son professionnalisme dès son premier véritable test, aux élections de 1997. Mais l’INE est dans une situation délicate : AMLO a rogné son budget et le dénigre dans les mañaneras, et il n’est pas exclu qu’il cherche à y imposer des membres. Il aura du mal à en faire autant avec la Banque centrale, mais pas avec la Cour suprême, où il dispose déjà de soutiens.

En 2019, le Mexique a comptabilisé 35 558 morts violentes, soit à peu près autant qu’au cours des dix ans qu’a duré la révolution mexicaine. Avant la pandémie, l’insécurité et la criminalité étaient la préoccupation majeure des ménages. À la fin des années 1990, nous avions encore le sentiment de vivre dans un pays à peu près pacifique jusqu’à ce qu’une terrible conjonction de facteurs (notamment l’absorption des cartels colombiens par les Mexicains et la levée de l’interdiction des armes de gros calibre aux États-Unis en 2004) conduise à un déchaînement de violence. Contrairement aux gouvernements du PRI qui, au XXe siècle, avaient suffisamment de pouvoir pour négocier avec les cartels de la drogue et leur imposer des conditions (en échange d’une part du gâteau), les dirigeants de ce siècle, affaiblis par l’effet centrifuge du pouvoir dans toute démocratie, n’ont pas su faire face à la nouvelle réalité.

López Obrador disait à propos de la lutte contre le crime organisé menée par ses prédécesseurs qu’elle revenait à « donner un coup de gourdin à la va-vite dans un nid de guêpes ». Mais sa propre solution s’est révélée pour le moins inefficace. Sa formule « Des accolades, pas des fusillades » équivaut à une sorte de pacifisme unilatéral à l’égard des organisations criminelles. Déconcertées par la clémence du gouvernement à l’égard des cartels, les forces de l’ordre sont ­démoralisées, tandis que des groupes criminels, et même des délinquants ordinaires, agressent, kidnappent, rackettent et assassinent dans les rues du pays en toute impu­nité.

Outre des négociations sérieuses et fermes avec les États-Unis sur le trafic d’armes et la dépénalisation de certaines drogues, la véritable solution à ces problèmes passe par l’édification d’un État de droit. Le Mexique est régi depuis 1824 par des Constitutions qui ne sont pas sans rappeler celles des États-Unis mais sont presque toujours restées lettre morte. La justice a toujours été sous la coupe du pouvoir exécutif. La transition vers le pluralisme démo­cratique en 1997 a fait évoluer les choses, et on pouvait s’attendre à ce que les gouvernements successifs poursuivent cet ­effort ­d’institutionnalisation du système judiciaire. Malheureusement, AMLO a mis un terme à ce processus et, à certains égards, l’a même inversé.

Pendant ce temps, la criminalité a continué d’augmenter : on a dénombré 2 492 homicides en avril 2020, ce qui en fait à ce jour le troisième mois le plus meurtrier de ce sextennat, après mars 2020 et juin 2019, où le nombre a ­dépassé 2 500. Dans ses campagnes électorales, AMLO proclamait que, si cela ne tenait qu’à lui, il dissoudrait l’armée. Et voilà qu’il vient de prendre un décret qui donne aux ­militaires la haute main sur la sécu­rité intérieure pour les quatre années de mandat qui lui restent.

López Obrador, qui a fait de la lutte contre la corruption son étendard, a ­abusé de son pouvoir et, en ce sens, comme ­Trump et tous les « despotes élus », il a corrompu l’institution présidentielle, ainsi que le sens et les symboles de la démocratie. Dans l’histoire moderne du Mexique, aucun autre dirigeant n’a reçu le pouvoir qu’il possède et exerce. ­Aucune force politique n’est actuellement en ­mesure de le concurrencer. Le PRI est à terre et c’est bien mérité, le PAN est à court de leader et de projet, et les autres partis d’opposition ne pèsent guère. Avant la pandémie, il semblait ­acquis que le ­parti d’AMLO remporterait haut la main les élections de mi-mandat de 2021, où les électeurs seront invités à renouveler l’ensemble de la Chambre des députés et les gouverneurs de quinze États. Ce résultat lui aurait donné un avantage certain en vue de la présidentielle de 2024, à laquelle López Obrador aurait pu soit se représenter lui-même (en modifiant au préalable la Constitution, ce qui n’est pas impossible), soit se faire représenter par un tiers – un allié inconditionnel, voire un parent –, comme l’a fait Poutine en Russie. Dans ce cas, la démocratie mexicaine n’aurait pas seulement perdu des années précieuses. Elle se serait perdue elle-même.

Ce scénario semble moins probable aujourd’hui, alors que 59 % des Mexicains désapprouvent la gestion présidentielle de la pandémie. Si les partis d’opposition parviennent à s’unir d’ici les élections de mi-mandat, le Morena pourrait perdre sa majorité à la Chambre des députés. Dans cette hypothèse, et à moins que le président opte pour une solution à la vénézuélienne en contrôlant l’autorité électorale, en modifiant le résultat des urnes ou en suspendant le Congrès, la démocratie mexicaine connaîtrait un ­répit dans la seconde partie du mandat d’Andrés Manuel López Obrador.

— Enrique Krauze est un historien, essayiste et éditeur mexicain connu pour son attachement à la démocratie libérale. Il dirige le mensuel culturel Letras libres.

— Cet article est paru dans ­Letras libres le 1er juillet 2020. Il a été traduit par Isabelle Lauze.

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L’écrivain slovaque Peter Pišťanek s’est suicidé en 2015, à 55 ans. De l’avis général, il avait révolutionné la littérature de son pays dans les années 1990 avec ses romans situés dans le monde de la pègre et ses personnages dont il rendait à merveille le langage brutal et vulgaire – on peut lire de lui en français ­Rivers of Baby­lon (Fayard, 2010). La parution d’On, Pišťanek, la biographie que lui consacre le ­critique littéraire Peter Darovec, a été l’occasion de lui rendre un nouvel hommage dans la presse.

« En lisant la monographie de Darovec, j’ai réalisé à quel point ce mélange de maîtrise narrative, de richesse expressive et de jeu intertextuel m’avait enchanté. Aucun autre romancier slovaque ne m’a procuré autant d’étonnement, de plaisir et d’enthousiasme depuis », note l’écrivain et critique Dado Nagy dans le quotidien Denník. « Quand je lisais Pišťanek, je ne pouvais m’empêcher de rire aux éclats », se souvient l’écrivain et journaliste Márius Kopcsay dans le quotidien Sme.

« Je conçois l’écrivain comme un clown, dont la mission est de divertir son public tout en lui parlant de choses sérieuses », ­disait Pišťanek. Mission accomplie, selon son biographe : « Pišťanek ne s’embarrassait pas d’exposés psychologiques et n’ennuyait pas ses lecteurs avec des considérations moralisatrices, rappelle Darovec dans le quotidien anglophone The Slovak Spectator. Il décrivait avec brutalité, cynisme et humour la réalité que tout le monde dans ce pays post-communiste ressentait sans parvenir à l’exprimer. »

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L’Economist Intelligence Unit (EIU), filiale de l’hebdomadaire The ­Economist, établit tous les ans depuis 2006 un indice de démocratie dans le monde. Ce travail approfondi permet d’apprécier les avancées et les reculs des principaux éléments constitutifs d’une démocratie. Soixante indicateurs sont pris en compte, relevant de cinq grandes catégories : le processus électoral et le pluralisme, les libertés publiques, le fonctionnement des institutions, la participation politique (taux d’abstention, par exemple) et la culture politique.
En 2006, sur 167 pays, 28 avaient un « régime pleinement démocratique », 54 étaient des « démocraties imparfaites », 30 possédaient un « régime hybride », autrement dit semi-autoritaire, et 55 un régime autoritaire.
L’édition 2006 observait déjà une tendance au recul des institutions démocratiques dans le monde par rapport aux années ayant suivi la chute du mur de Berlin, en 1989. En 2019 (édition 2020), on constate que le recul se poursuit. L’EIU ne recense plus que 22 pays dotés d’un ­régime pleinement démocratique, et le nombre de pays à régime ­hybride passe à 37.
Au-delà de ces chiffres bruts, l’EIU constate un déclin mondial, marqué par une forte régression en Amérique latine et en Afrique subsaharienne et par une régression moins prononcée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La « pratique démocratique » est aussi en baisse dans les ­démocraties occidentales traditionnelles.

L’ONG américaine Freedom House, largement financée par l’État fédéral, publie depuis 1972 un rapport annuel sur l’état des libertés dans le monde (droits individuels et politiques). Elle classe les pays sur une échelle de 1 à 7 et les regroupe en trois catégories : libres, partiellement libres et non libres. Dans le rapport 2020, qui porte sur 2019, Freedom House constate un déclin des libertés à l’échelle mondiale pour la treizième ­année consécutive. Elle enregistre un triple mouvement : un durcissement des régimes autocratiques, une régression dans de nombreux pays qui s’étaient démocratisés après la Guerre froide et une poussée de mouvements populistes anti­démocratiques dans les vieilles démocraties.

Bien que le degré d’autoritarisme de leurs régimes diffère, ces pays ont en commun d’avoir à leur tête un dirigeant populiste qui a exploité le système électoral pour accéder au pouvoir et continue de s’y référer pour renforcer son pouvoir personnel, quitte à ne pas respecter ou à bafouer les éléments constitutifs d’une démocratie.

[post_title] => La planète des régimes autoritaires [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => planete-regimes-autoritaires [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-09-18 14:00:20 [post_modified_gmt] => 2020-09-18 14:00:20 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=95323 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« 14 h : départ de Chelm à bord d’un train spécial pour le commando spécial. 15 h-16 h : visite du commando spécial. » Ces anno­tations en date du 12 février 1943 sont tirées des agendas de service d’Heinrich Himmler. « Derrière leur sécheresse anodine se cache la visite d’Himmler à Sobibor où, d’avril 1942 à octobre 1943, 250 000 personnes furent gazées, rapporte l’historien Michael Wildt dans l’hebdomadaire Der Spiegel. Comme, ce 12 février 1943, aucun convoi de déportés n’était prévu, les SS raflèrent 200 femmes et fillettes juives des environs afin de montrer au Reichsführer-SS l’efficacité de leur machine de mort. »

Pendant des décennies, ces agendas de service avaient disparu. Ils n’ont été retrouvés qu’il y a quatre ans, et voici qu’après l’édition des années 1940 et 1941-1942 paraît celle des années 1943-1945. « Pas une lecture de vacances », reconnaît Wildt, ni un ouvrage qui remette en cause ce qu’on sait déjà sur la Shoah, mais on y découvre les activités et la manière de travailler de l’un des hommes clés du régime nazi avec un luxe de détails sans équivalent.

L’intérêt de la période 1943-1945 est qu’Himmler y atteint le sommet de son pouvoir : il ­devient ministre de l’Intérieur et est responsable de l’armée de terre de réserve. Ses SS comptent, en 1944, 600 000 soldats, et le système concentrationnaire (qu’il contrôle aussi) passe de 123 000 à 718 000 détenus.

Himmler préfère les contacts directs à l’étude des dossiers, que ce soit par des conversations ou des inspections, nous apprennent ses agendas. De janvier 1943 à mars 1945, il rencontre 168 fois Hitler, par exemple, soit en moyenne six fois par mois (souvent pour lui demander de renforcer les divisions SS). Et sa vie privée ? Elle transparaît également dans ces agendas : des coups de téléphone fréquents à sa fille Gudrun, tout comme des visites non moins fréquentes à sa maîtresse Hedwig Potthast (avec laquelle il eut deux enfants).

[post_title] => Un emploi du temps chargé [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => un-emploi-du-temps-charge [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-09-21 16:47:52 [post_modified_gmt] => 2020-09-21 16:47:52 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=95713 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Lors de sa parution en 2016 dans un hebdomadaire en malayalam, la nouvelle « Biriyani » avait suscité un « débat enflammé », rappelle le quotidien anglophone The Times of India. Son auteur, le nouvelliste Santhosh Echikkanam, originaire du ­Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde, y raconte l’histoire d’un migrant hindou. Venu d’un village reculé du ­Jhar­khand, dans le nord-est du pays, Gopal Yadav est embauché dans une bourgade du Kerala pour aider aux préparatifs d’un mariage musulman. Le faste de la cérémonie l’impressionne : lui qui n’a pas mangé de la journée doit creuser un trou profond pour y déverser des kilos de nourriture gaspillée, notamment du ­biriyani ; ce faisant, il se souvient de sa famille frappée par la disette.

Initialement encensée pour ses qualités littéraires, la nouvelle a fait polémique lorsque Rubin D’Cruz, représentant de l’édition au sein de l’influent National Book Trust (l’équivalent du Centre national du livre et du Syndicat national de l’édition réunis) a ­estimé sur Facebook qu’elle véhiculait des préjugés sur les musulmans en les présentant comme « polygames », « bling-bling » et « pour la plupart incultes ». Une lecture trop manichéenne, ont alors riposté les jeunes nouvellistes Manoj Kuroor et Benyamin, qui s’insurgeaient contre le « terrorisme » intellectuel. Quatre ans plus tard, la parution en anglais de la nouvelle au sein du recueil Biriyani and Other Stories ne semble pas faire de vagues. Comme le relève le mensuel The Caravan, Echikkanam explore toutes les facettes de la vie du Kerala, « des travailleurs agricoles migrants aux familles aisées », sans oublier le poids de la bureaucratie dans le quotidien de ses habitants.

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