Classique : À chacun son Hölderlin

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Jadis et naguère

Titre
Classique : À chacun son Hölderlin

Chapo
Un tiers de siècle pour boucler la réédition des œuvres complètes du poète mythique. Une jungle lyrique…

texte
En 1975, il était encore possible à deux inconnus de mobiliser les journa-listes culturels allemands pour annoncer une idée folle : rééditer les œuvres com-plètes du poète Hölderlin. L’un est autodidacte, il travaille chez un conces-sionnaire Volkswagen, l’autre se dit éditeur. Cheveux longs et idées de gauche en sautoir. Donnée à l’hôtel Frankfurter Hof, la conférence de presse a donné le coup d’envoi d’un Kulturkampf « comme on a de la peine à s’imaginer », raconte dans Die Zeit le philosophe Navid Kermani, trop jeune pour en avoir été.
Mort en 1843, Friedrich Hölderlin est tenu pour l’égal de Goethe et de Schiller. L’édition de référence alors disponible souffre d’avoir été mise en chantier en 1943 et de porter la marque d’un nationalisme suspect. Autre grief : Hölderlin y apparaît comme un artiste inspiré qui aurait conçu d’une main sûre une œuvre d’emblée mûre et accomplie. L’examen des manuscrits montre le contraire. Les plus beaux vers de la langue allemande sont le fruit de l’hésitation et de l’effort. Dans bien des cas, il ressort qu’Hölderlin n’a pas lui-même tranché entre de multiples options.
L’entreprise devait durer cinq ans. Elle s’est achevée trente-trois ans plus tard, fin 2008, avec la parution du tome XX. Dans l’intervalle, les deux agitateurs sont devenus des personnalités du monde littéraire outre-Rhin. Leur notoriété, explique Jürgen Berger dans le Tageszeitung, ils la doivent au fait d’avoir révolutionné l’idée de ce que pouvait être une édition de référence.
Le fac-similé du manuscrit est présenté d’un côté, la transcription de l’autre. Quel travail ! On découvre une multitude de caractères différents selon les périodes, les ajouts et les transformations de l’auteur ou de ses éditeurs. Les variantes sont flanquées d’une jungle de soulignés multiples et de parenthèses au profil divers, à même la ligne, entre les mots. À côté, sont encore produites les différentes lectures possibles à l’aide d’une vingtaine de combinaisons graphiques différentes…
Un autre Hölderlin émerge, propre à chacun. Confronté au texte original, fragmentaire et discontinu, le lecteur devient lui-même « l’éditeur du texte », écrit Kermani ; « chercheur associé », dit Berger. Dans le deuxième vers de son célèbre Patmos, Höderlin parle d’un dieu insaisissable. Le poème lui-même ?

Ref
Friedrich Hölderlin, Samtliche Werke (« œuvres complètes »), Frankfurter Ausgabe, D. E. Sattler (éd.), t. XX, Stroemfeld, 2008.

En 1975, il était encore possible à deux inconnus de mobiliser les journa-listes culturels allemands pour annoncer une idée folle : rééditer les œuvres com-plètes du poète Hölderlin. L’un est autodidacte, il travaille chez un conces-sionnaire Volkswagen, l’autre se dit éditeur. Cheveux longs et idées de gauche en sautoir. Donnée à l’hôtel Frankfurter Hof, la conférence de presse a donné le coup d’envoi d’un Kulturkampf « comme on a de la peine à s’imaginer », raconte dans Die Zeit le philosophe Navid Kermani, trop jeune pour en avoir été.
Mort en 1843, Friedrich Hölderlin est tenu pour l’égal de Goethe et de Schiller. L’édition de référence alors disponible souffre d’avoir été mise en chantier en 1943 et de porter la marque d’un nationalisme suspect. Autre grief : Hölderlin y apparaît comme un artiste inspiré qui aurait conçu d’une main sûre une œuvre d’emblée mûre et accomplie. L’examen des manuscrits montre le contraire. Les plus beaux vers de la langue allemande sont le fruit de l’hésitation et de l’...

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