Dans le Berlin juif
Publié dans le magazine Books n° 107, mai 2020.
C’est l’histoire d’une réédition qui est presque une première parution, tant, en 1951, Effingers s’était heurté à l’indifférence, sinon à la sourde hostilité du public allemand.
Il faut dire que ce roman de près de 900 pages racontait une histoire qu’on n’avait guère envie d’entendre dans l’immédiat après-guerre : il y était question de cette bourgeoisie juive qui avait aimé son pays, l’Allemagne, cru à l’assimilation et fini en exil ou à Auschwitz.
Aujourd’hui, Effingers est considéré comme une œuvre importante : « Ce grand roman du XXe siècle est extraordinaire à bien des titres. Brillamment documenté mais jamais didactique, il propose un panorama de l’histoire de Berlin entre la fondation du Reich et la destruction de la ville. Ses banquiers et ses chefs d’entreprise, chose rare dans la littérature allemande, ne sont pas des caricatures, mais plutôt des hommes d’affaires honnêtes, qui peuvent se tromper et sont plus ou moins intelligents », résume le journaliste et écrivain Jens Bisky dans le quotidien Süddeutsche Zeitung. Son auteure, Gabriele Tergit (de son vrai nom Elise Hirschmann), elle-même issue de la bourgeoisie juive berlinoise, l’a écrit – à partir de 1933 et sur près de deux décennies – dans des chambres d’hôtel de Prague, de Jérusalem et de Tel Aviv, et, pour terminer, à Londres, où son exil a fini par la mener.
On a qualifié le roman Effingers de « Buddenbrook juif ». À tort, selon une bonne partie de la presse d’outre-Rhin. On y suit, sur quatre générations, le destin non pas d’une mais de trois familles (dont les Effinger du titre). Composé de 144 chapitres brefs, il met en scène des personnages plus variés et évocateurs que véritablement complexes, l’essentiel étant de ressusciter l’atmosphère singulière d’une époque.
Et, surtout, par rapport à la grande saga de Thomas Mann, « le style n’est pas débordant et ironique, il est concis, direct », juge l’universitaire Erhard Schütz dans le quotidien Die Welt.