Délit de justice à Singapour

Un livre sur l’application de la peine de mort dans la prospère cité-État est retiré de la vente et fait sensation dans la région.

Alan Shadrake, un journaliste britannique de 75 ans arrêté en juillet dernier à Singapour, a été condamné à six semaines de prison et quelque 11 000 euros d’amende pour avoir écrit un ouvrage sur l’application de la peine capitale dans l’île-État, Once a Jolly Hangman.

Singapour, ce territoire minuscule de cinq millions d’habitants qui est à la fois l’un des plus grands ports de la planète et un centre financier majeur (15 % de taux de croissance en 2010), est aussi, rappelle Megawati Wijaya sur le site Asia Times, le pays où « le taux d’exécution par habitant est le plus élevé au monde, trois fois plus que l’Arabie saoudite, le deuxième État sur la liste d’un rapport des Nations unies datant de 2001. Selon Amnesty International, 400 personnes auraient été pendues à Singapour entre 1991 et 2001 ». Selon les estimations du journaliste britannique, le nombre dépasserait aujourd’hui le millier. « Mais la législation très sévère de la cité-État lui a aussi permis de faire régner l’ordre et de figurer parmi les pays les plus sûrs du monde, rappelle Asia Times. Son taux de criminalité exceptionnellement bas est l’un des atouts majeurs de cette ville d’Asie, la plus prisée par les expatriés occidentaux. »

Accusé d’« outrage à la justice » locale, dont il mettrait en doute l’intégrité, l’ouvrage d’Alan Shadrake raconte en détail différents cas d’exécution et s’appuie sur plusieurs entretiens menés auprès d’avocats, d’anciens officiers de police ou encore de militants des droits de l’homme. Quant au « joyeux bourreau » auquel fait allusion le titre du livre, c’est Darshan Singh, précise Asia Times, « ancien exécuteur de la prison de Changi, où il a exercé pendant une cinquantaine d’années. Quand il a commencé sa carrière en 1959, à l’âge de 26 ans, chaque pendaison lui rapportait 30 dollars singapouriens. À la fin, sa rémunération atteignait les 400 dollars [232 euros] ».

S’il décrit par le menu les procédures d’exécution appliquées dans la cité-État, l’ouvrage dénonce aussi une justice à deux vitesses, explique Megawati Wijaya : « Concernant les cas de trafic de drogue et les assassinats, les simples consommateurs, les “mules” et les personnes les plus pauvres n’ont aucune chance d’échapper à la sentence, tandis que les riches et ceux disposant de relations dans les sphères du pouvoir sont épargnés. Selon la loi singapourienne, toute personne d’au moins 18 ans arrêtée en possession de 15 grammes de drogue dure ou de 500 grammes de marijuana risque la peine de mort. »

L’ouvrage, introuvable à Singapour depuis qu’il a été retiré des librairies sur ordre de l’Autorité nationale des médias, enregistre des ventes records en Malaisie voisine, où il figure en bonne place sur la liste des bestsellers du quotidien The Star. Quant à Alan Shadrake¬, il a rejeté l’opportunité offerte par le juge de se repentir. Depuis Londres, Justin McCurry rapporte dans le Guardian les propos suivants de l’accusé : « Ils me demandent de présenter des excuses, mais je n’ai rien fait de mal. Je ne vais pas m’échapper ou me rétracter. S’ils veulent me mettre en prison, alors il en sera ainsi. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Il était une fois un joyeux bourreau. La justice de Singapour au banc des accusés de Délit de justice à Singapour, Gerak Budaya

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