Épidémie et découvertes scientifiques: la leçon de Pasteur


En janvier 1890, « la grippe russe » se répand dans tout l’hémisphère nord. Quand un médecin viennois assure avoir trouvé le bacille à l’origine de cette influenza, le journaliste Ludovic Naudeau du quotidien La France se rend chez Louis Pasteur. Il livre dans l’édition du 23 janvier le compte-rendu de leur conversation dans lequel le savant rappelle les fondamentaux de la recherche scientifique : raison, contrôle et humilité. Cette épidémie de grippe tuera 1 million de personnes dans le monde.


Certains de nos confrères ont annoncé avec une assurance au moins prématurée qu’un médecin viennois, le docteur Golles, avait découvert le bacille de l’influenza. Ce docteur aurait déjà rédigé un rapport qui sera envoyé par lui dès demain à la Société de médecine de Vienne. Il nous a paru intéressant d’aller prendre l’avis de M. Pasteur sur cette question ; nous nous sommes donc rendu au laboratoire de la rue Dutot où l’illustre savant nous a reçu avec son affabilité accoutumée :
— J’ai déjà lu, nous a-t-il dit, l’article annonçant la découverte du microbe de l’influenza. Si cette découverte est réelle, c’est encore un pas de fait dans la voie de la science.
— Si elle est réelle ?
— Evidemment. Il m’a paru que l’article en question ne faisait pas suffisamment ses réserves. Il faut toujours se méfier des découvertes scientifiques qui arrivent ainsi sans qu’on s’y attende. Je ne dis point ceci pour le docteur Golles dont, jusqu’à ce jour, j’ignorais même le nom et dont j’ignore encore les œuvres. Mais sachez que sur le terrain scientifique on n’est jamais trop réservé. Quelquefois, un expérimentateur, après de longs travaux, croit avoir reculé les bornes de l’inconnu, et plus tard, quand arrive le contrôle pratique de ses observations, il se retrouve en présence du même inconnu. N’allez point croire que je nie la découverte du docteur Golles ! Loin de moi cette pensée. Seulement, je ne la considérerai comme certaine que lorsqu’elle aura été contrôlée, pas avant.
— Mais si cette découverte est réelle, quels en seront les résultats ?
— Mon Dieu ! il faut toujours faire la part de l’imprévu. Mais, à coup sur, un de ces résultats sera de faciliter la recherche du vrai remède de l’influenza. Il ne suffit pas de constater qu’un microbe existe. Il faut surtout trouver le moyen de le détruire, ou tout au moins d’empêcher sa propagation.
— Et puis, cher maître, l’influenza est une maladie le plus souvent anodine. Ce n’est point une de ces terribles épidémies qui dévastent toute une contrée. C’est une de ces maladies avec lesquelles il y a des accommodements.
— Eh eh ! comme vous y allez ! L’influenza a fait plus de mal que vous ne le croyez. Beaucoup de vieillards en sont morts. Beaucoup de personnes ont été atteintes de pneumonie, suite de l’influenza. Moi-même, à l’heure présente, je suis influenzé et je souffre considérablement. C’est pourquoi j’aurais préféré que le docteur Golles, au lieu de découvrir le microbe de l’influenza, en découvrît le remède.
— Alors, selon vous, il n’y a point lieu de faire du docteur Golles un Jenner ?
— Oh ! attendons pour cela qu’il a trouvé le remède ! Nous verrons après. Mais si la découverte de Golles est réelle il n’en a pas moins droit, comme novateur à toute la considération des corps médicaux.
— Permettez-moi, cher maître, de vous poser encore une question. On avait dernièrement fait courir le bruit que l’épidémie d’influenza était l’avant-coureur, du choléra. Il n’y a sans doute rien de fondé dans ces sombres prédictions ?
— Non, vous pouvez rassurer formellement vos lecteurs à ce sujet. C’est un bruit erroné qui ne vaut pas qu’on s’y arrête.
Sur ces paroles, après avoir serré respectueusement la main à l’illustre savant, nous prîmes congé de lui en lui souhaitant un prompt rétablissement.
Ludovic Naudeau.

LE LIVRE
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La France de Arthur de la Guéronnière, 1862-1937

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