Est-ce qu’Internet va tuer la presse papier ?

Autour du lit où ceci la presse papier se tortille de douleur, malade et peut-être même déjà à l'agonie, l'Internet rôde… Assassin venu contempler son crime ? Vautour espérant recueillir quelques déchets ? Ou dauphin attendant poliment de prendre la succession du défunt ?

Autour du lit où la presse papier se tortille de douleur, malade et peut-être même déjà à l'agonie, l'Internet rôde… Assassin venu contempler son crime ? Vautour espérant recueillir quelques déchets ? Ou dauphin attendant poliment de prendre la succession du défunt ?
Que le Web soit un des principaux responsables de la déréliction de la presse papier, ce n'est pas douteux. Mais il faut y aller voir de plus près.
Contrairement à ce que l'on dit dans les assemblées choisies, Internet n'a pas tué la lecture, notamment chez les jeunes : il l'a en fait augmentée, ne serait-ce que parce que les supports de lecture ont été multipliés : écran d'ordinateur, iPhone, net books, que sais-je …! Mais c'est une lecture différente, cursive, effleurante, superficielle - «horizontale » comme dit Bernard Poulet dans un livre récent qui analyse très finement le phénomène (1). Ou encore pour citer le rapport de l'institut Montaigne : « Internet impose son rythme à la presse écrite » (2).
Mais on ne peut nier que le Web a singulièrement compliqué la tâche déjà bien difficile en ce moment des patrons de presse. Et d'abord en faisant disparaître leur source favorite de cash : la pub. « Il n'y a pas de mystère quant à l'origine du problème : les revenus publicitaires se sont évaporés » (James Surowiecki )(3). Et pourquoi cela ? En gros, parce qu'Internet permet de coller au plus près des soucis et des intérêts des lecteurs (au plus près, même dans tous les sens du mot : bientôt il sera possible d'envoyer des messages publicitaires aux gens par portable en fonction de l'endroit où ils se trouvent à un moment précis). Cela bien sûr décuple l'efficacité du message publicitaire, et au jour d'aujourd'hui il faut bien aller au plus efficace.
Pour autant, il y a une raison derrière la raison : si Internet permet un ciblage si précis des goûts des gens via leurs lectures, c'est parce que l’intérêt des lecteurs a glissé du général - l'information, les news - au particulier, voire à l’ultra-particulier: tout ce qui touche à leurs intérêts locaux, ethniques, politiques ou à leurs dadas divers et variés. Les Américains ont bien identifié ce phénomène de détachement (4), qui les inquiète beaucoup, car ils y voient une sérieuse menace pour la démocratie, qu’Al Gore définissait comme  « une conversation ». Beaucoup de bons esprits s'en alarment : sur les blogs, forum etc., disent-ils, on se retrouve entre soi, regroupés par affinités, pour s'abreuver d'un journalisme d'amateurs, communautariste, et dégagé de tout contrôle qualitatif ou déontologique. C'est vrai et faux (la preuve : ce blog lui-même !).
Ce qui est indéniable, c'est qu'on peut faire sur le net une « lecture à la carte » de l'actualité, en sélectionnant thèmes favoris et sources d'informations privilégiées. Tout un chacun peut désormais se constituer sa revue de presse perso - ce qu'on appelle le  «me-media » ; ce n'est plus le privilège des cadres sup ou des cabinets ministériels ! Du coup, la presse n'est plus tellement une fenêtre ouverte sur le vaste monde ; elle devient une sorte de loupe permettant de contempler d'encore plus près son propre nombril.


(1)    La fin des journaux et l'avenir de l'information - Le Débat – Gallimard
(2)    Comment sauver la presse quotidienne d'information ? - rapport août 2008
(3)    The New Yorker,  22 décembre 2008
(4)    « The end of news ? » M.Massing, New York Review of Books, décembre 2005. « Does the news matter to anyone anymore ? », David Simon, The Washington Post, 20 janvier 2008.

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