Être trans en Argentine 

Lorsque l’Argentine Camila Sosa Villada a appris à écrire son prénom à la maternelle elle s’appelait Cristian. Plus tard, à l’adolescence, elle s’arrêtait sur le chemin du collège pour se mettre du rimmel sans que ses parents le sachent. Lorsque, à 18 ans, elle assume au grand jour son identité transgenre, elle s’attire les foudres de son père. « Un jour, on m’appellera pour me dire qu’on t’a retrouvée morte dans un fossé », lui prédit-il. Cristian, devenu Camila, quitte alors son village de montagne pour rejoindre la bouillonnante ville de Córdoba, dans le nord de l’Argentine. Vingt ans plus tard, la voilà actrice, écrivaine et chanteuse, mais le chemin fut semé d’embûches. Dans Las malas, Camila Sosa Villada revient sur cette période où, jeune étudiante en communication à l’université de Córdoba, elle se prostituait le soir dans un parc de la ville.

« Roman d’initiation, chronique d’une époque, Mémoires : Las malas, c’est tout ça à la fois », résume Patricio Zunini sur le portail argentin d’information Infobae. C’est aussi un roman choral, pourrait-on ajouter. En effet, on y suit les péripéties d’une communauté de travestis qui se prostituent la nuit et se retrouvent, la journée, chez la « tante Encarna », dont la petite maison rose en périphérie de la ville leur sert de refuge. « La narratrice, Camila elle-même, raconte souffrance après souffrance, humiliation après humiliation, les coups, les mensonges et l’effacement de l’espace public », note Patricia Kolesnicov dans le quotidien argentin Clarín.

Mais il ne s’agit pas que d’un récit glaçant sur la violence faite aux transgenres en Amérique latine – où leur espérance de vie est de 35 ans, rappelle l’auteure –, le roman est aussi empreint de réalisme magique. Ainsi le personnage de « Marie la muette » se voit pousser des plumes, une autre se change en loup-garou les soirs de pleine lune. « L’originalité de Las malas, et la grande réussite littéraire de Camila Sosa Villada, réside dans la création d’une mythologie propre à l’univers trans qui fait appel, à l’instar des poètes de la Grèce et de la Rome antiques, à la notion de métamorphose », pointe Bermeo Gamboa dans le quotidien colombien El País.

À lire aussi dans Books : L’énigme de l’abbé travesti, juillet-août 2009.

LE LIVRE
LE LIVRE

Las malas de Camila Sosa Villada, Tusquets, 2019

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