Foucault intouchable

Les versions française et anglaise de l’article « Michel Foucault » de Wikipedia sont pratiquement muettes sur les critiques dont son œuvre a fait l’objet.

Mon jeune ami Charlie a produit une innocente critique de l’article «Michel Foucault » de Wikipédia. Son intelligence naturelle lui a fait percevoir la surprenante médiocrité dudit article. Il a aussi repéré que celui-ci ne donne aucune piste permettant à l’internaute d’identifier les critiques apportées à l’œuvre de l’intellectuel français. Parmi les 76 ouvrages sur Foucault cités dans la bibliographie, il y en a bien deux ou trois dont le titre semble sentir le soufre, mais ils sont noyés dans le reste et ne font l’objet d’aucun commentaire.


La version anglaise de Wikipédia ayant souvent une longueur d’avance sur la version française, Charlie, qui est de mère anglaise et de père français, la consulte avec espoir. D’abord frappé par la série de « copier-coller » entre les deux versions, du moins dans la partie concernant la vie de Foucault, il y trouve en effet une nourriture plus comestible. Bien que plus court, l’article anglais est plus précis et plus prudent. On lit par exemple que Foucault « refusait de se considérer comme philosophe, historien, structuraliste ou marxiste », alors que l’article français s’obstine à le présenter comme un « philosophe » et à décrire sa « philosophie » (dans un beau galimatias).


Mais au moins la version anglaise prend soin de présenter un résumé du contenu de chacun des principaux ouvrages de Foucault, d’une façon suffisamment claire pour que le lecteur non initié puisse s’en faire une idée.


Cependant la version anglaise oblitère tout aussi savamment les critiques apportées à l’œuvre du maître. On y trouve le même genre de formules vagues que dans la version française : « Le travail de Foucault sur le pouvoir et sur les relations entre pouvoir, savoir et discours ont été largement discutés ». Discutés par qui et avec quels arguments ?  On retrouve à peu près la même phrase que dans la version française à propos de L’Archéologie du savoir : c’était « une réponse méthodologique à ses critiques ». Quels critiques ? Quelles critiques ? Il faut aller dans la bibliographie et les notes pour trouver quelques références à des éléments critiques portant sur sa vie (la controverse iranienne, son rapport au sida) et sur son œuvre (un lien vers « le débat Foucault-Habermas », débat d’ailleurs non qualifié).


Mais ces éléments sont bien pauvres. Que ce soit dans la version anglaise ou dans la version française, tout se passe comme si la figure de Foucault était, comme une idole sur son piédestal, définitivement vaccinée contre toute critique possible. Charlie ne saura donc pas que l’œuvre de Michel Foucault a fait l’objet d’analyses critiques de grande qualité, qui en relativisent singulièrement la portée. Il n’entendra pas parler du remarquable ouvrage de l’universitaire brésilien J.G. Merquior, écrit en anglais et traduit en français (il est noyé sans commentaire dans la liste des 76 ouvrages sur Foucault de la version française et pas même cité dans la bibliographie de l’article anglais, alors qu’il a été écrit dans cette langue).


Charlie ignorera l’intérêt d’aller lire l’article sur le structuralisme dans le Dictionnaire critique de la sociologie de Raymond Boudon et François Bourricaud. Il ne saura rien de ce qu’écrit Jacques Bouveresse dans son livre Le philosophe chez les autophages (pas même cité dans la bibliographie de la version française). Rien des analyses de Marcel Gauchet, d’Andrew Scull et de tant d’autres. Pauvre Charlie, il sent flotter l’odeur de la censure mais ne sait d’où elle vient ni sur quoi elle porte.


=> Pour comparer : lire les articles des encyclopédies Universalis et Britannica sur Michel Foucault

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