Foucault et la révolution iranienne
Publié dans le magazine Books n° 2, janvier - février 2009.
On a beaucoup écrit sur l’enthousiasme manifesté par Michel Foucault lors de la révolution islamique qui conduisit à la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeiny en février 1979. Mais le seul ouvrage consacré au sujet est en anglais et n’a pas été traduit en français. Il est le fait de deux universitaires de l’université Purdue, dans l’Indiana. Kevin Anderson est spécialiste du marxisme, Janet Afary du féminisme et de l’Iran. Elle va publier ce printemps un livre sur la « politique sexuelle » dans ce pays. À leurs yeux, le crédit accordé par Foucault à la révolution des mollahs était moins dû à son indéniable ignorance du sujet qu’à sa haine de la modernité occidentale, dont le régime du shah lui paraissait une caricature. C’est cette modernité qu’il voyait mise à mal par le soulèvement d’un « peuple sans armes », animé par une nouvelle « spiritualité politique ». Rendant compte de ce livre en 2005 dans la New York Review of Books, le romancier et essayiste indien Pankaj Mishra acquiesçait : « Il est clair désormais que les vues de Foucault étaient forgées par sa détestation des systèmes politiques et économiques – le capitalisme industriel, l’État-nation bureaucratique – créés par les révolutions de l’Occident et disséminés par les impérialistes occidentaux durant les deux derniers siècles ».
Mishra saluait cependant l’intuition prémonitoire du philosophe, qui écrivait que l’« importance historique [de ce mouvement], il la devra plutôt à la possibilité qu’il aura de bouleverser les données politiques du Moyen-Orient, donc l’équilibre stratégique mondial. Sa singularité, qui a constitué jusqu’ici sa force, risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien en effet comme mouvement “islamique” qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables, et inquiéter les plus solides. L’islam – qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation – risque de constituer une gigantesque poudrière à l’échelle de centaines de millions d’hommes. ».