Ce que le gothique doit aux Arabes

Au lendemain de l’incendie de Notre-Dame en avril 2019, l’arabiste et spécialiste du Proche-Orient Diana Darke faisait remarquer sur Twitter que les éléments de la cathédrale considérés comme les plus emblématiques de l’art chrétien européen venaient en fait d’Orient. Ses propos furent rapidement repris dans la presse, qui flairait là matière à polémique.

Avec son nouveau livre, Stealing from the Saracens, « Ce que l’on a volé aux Sarrasins », Darke enfonce le clou. Et les critiques sont partagées. « Après la surprise initiale, sa démonstration, si elle ne va pas toujours de soi, apparaît soudain limpide », note Peter Gordon dans l’Asian Review of Books. L’arc brisé, la voûte sur croisée d’ogives, la flèche, le campanile, la rosace… de nombreux éléments de l’architecture religieuse européenne préexistaient dans des bâtiments construits au Proche-Orient ou dans le sud de l’Espagne.

Cette influence, qui a emprunté de multiples routes (interactions entre l’Espagne musulmane et ses voisins chrétiens, croisades, pèlerinages, commerce entre l’Italie et le Proche-Orient…), ne se limiterait pas au Moyen Âge. « Le dôme de la cathédrale de Florence par Brunelleschi, un des premiers chefs d’œuvre de la Renaissance, semble reposer sur la connaissance des techniques de construction islamiques et sur les écrits d’Ibn al-Haytham (ou Alhazen), un grand savant du XIe siècle. Antoni Gaudí, le très dévôt architecte de la Sagrada Familia de Barcelone, s’est inspiré des chefs d’œuvre islamiques d’Espagne », pointe Rowan Moore dans l’hebdomadaire britannique The Observer.

Rappelant que l’architecture n’est que rarement invention, mais le plus souvent un assemblage et une réinterprétation d’éléments préexistants, et que les bâtisseurs occidentaux ont pioché des éléments romains, grecs mais aussi arabes ou néolithiques, l’architecte Aaron Betsky regrette, dans Architect Magazine, que l’ouvrage de Darke soit si « brouillon ». « Le livre reflète l’obsession de Darke : prouver que la Syrie est le berceau de la civilisation, une thèse qu’elle développe à l’aide de fragments d’arguments et d’anecdotes bien connues de l’histoire de l’architecture, le tout agrémenté de notes citant des émissions de télévision, des auteurs excentriques, et de proclamations soulignant que des bâtiments sont importants seulement parce qu’ils ont été inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. »

À lire aussi dans Books : Les vraies-fausses gargouilles de Notre-Dame, novembre 2011.

LE LIVRE
LE LIVRE

Stealing from the Saracens: How Islamic Architecture Shaped Europe de Diana Darke, Hurst , 2020

SUR LE MÊME THÈME

De l’avantage d’être un État fantôme
Lu d'ailleurs Médiocres milléniaux
Lu d'ailleurs Espionne et mère de famille  

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Chronique

Feu sur la bêtise !

par Cécile Guilbert

Voir le sommaire