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Quand la grève inspirait Zola


Publicité pour « Germinal », en feuilleton dans Gil Blas, 1884 - source : Gallica-BnF

Mouvement social à la SNCF, à Air France, à La Poste, pour les avocats, magistrats et greffiers mais aussi les bruiteurs, monteurs et autres métiers de la post-production au cinéma… Cette semaine, les journalistes avaient tous le mot grève sous la plume. En 1884, au milieu des revendications des 12 000 mineurs d’Anzin ayant cessé le travail depuis le 21 février, la presse se fait écho de la présence sur place d’un certain Emile Zola. Le romancier se documente pour son prochain livre. Et il en a déjà le titre : Germinal, un mot qui évoque le début du printemps et, métaphoriquement, le réveil de la conscience ouvrière. Le 29 février, Le Matin relate son arrivée, et le 1er mars, consacre un petit article à la visite de l’écrivain.

 

 

Le Matin du 29 févier 1884

Grèves du Nord

Au pays des grévistes

 

Denain, 27 février, 11 heures. Le plan des grévistes est de faire, avec le concours de la presse démocratique, appel à toutes les autres fédérations minières, et d’ouvrir des souscriptions pour venir en aide à tous ceux qui suivront le mouvement de la grève.

Ils sont assemblés en grand nombre à Denain, ce matin, et attendent impatiemment le résultat de l’interpellation qui doit avoir lieu aujourd’hui à la Chambre. Les grévistes sont très reconnaissants à M. Giard, leur député, d’être venu passer les journées de dimanche et de lundi à Denain après son entrevue avec M. Raynal.

Les mutins attendent aussi, sans grand espoir, à vrai dire, une réponse favorable de la Compagnie d’Anzin au desideratum formulé hier à la réunion de l’Ermitage.

Si la Compagnie ne fait pas droit à leurs réclamations, ils sont résolus à prolonger la grève le plus longtemps possible. Au cas où la famine sévirait parmi les ouvriers, ils céderont momentanément mais reprendront la grève au mois d’octobre.

Chaque grève de vingt jours coûte à la Compagnie des sommes considérables pour les travaux supplémentaires que cette interruption nécessite.

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Les mineurs se soulèveront donc à nouveau en octobre et, cette fois, la grève ne sera plus localisée dans une seule mine, mais aura gagné la France entière. Au reste, ce projet doit être discuté lors de la grande fédération minière qui se tiendra au mois d’août prochain. «C’est désormais, disent les mineurs, une lutte à mort entre nous et la Compagnie. Nous la ruinerons. Quant à accepter les nouveaux tarifs, nous n’y consentirons jamais. Si nous cédions aujourd’hui, elle nous opprimerait demain davantage ». Si donc les mineurs, une fois tout l’argent des souscriptions dépensé, se remettent au travail, c’est avec l’arrière-pensée de recommencer la grève aussitôt qu’ils le pourront.

D’autre part, ils ne sont pas éloignés de croire que la Compagnie d’Anzin est encouragée dans sa résistance par le syndicat qu’elle a créé d’accord avec les grandes Compagnies. Le syndicat aurait même voté des fonds à la compagnie d’Anzin pour lui permettre de soutenir la lutte et de ne rien céder aux mineurs.

Néanmoins, la situation ne s’est pas aggravée. La ville est calme, les ménagères parcourent le marché avec leur panier au bras. Les cafés sont plein s; on y commente, à toutes les tables, les événements du jour. Dans certains groupes même, on se montre sévère à l’endroit des meneurs de la grève, pour le citoyen anarchiste Fauvieau entre

autres.

(…)

5 heures du soir. La population est toujours très calme.

La nouvelle de rixes entre ouvriers et parions (contre-maîtres), annoncée par un journal de Lille, est entièrement fausse.

 

Valenciennes, 28 février, six heures et demie. La Compagnie d’Anzin a prévenu les mécaniciens de la fosse Saint-Louis qu’ils seraient dorénavant chauffeurs et conducteurs, ce qui réduirait leur salaire journalier de 80 centimes. Les mécaniciens ont abandonné leurs machines.

Aujourd’hui, à quatre heures, cinq cents grévistes se sont réunis àAnzin. Fauvieau a fait un discours purement technique. Il a terminé en conseillant aux mineurs de continuer la résistance et en faisant l’éloge de la République, qui permet la discussion libre. L’orateur a fait un sombre tableau de l’existence des mineurs; il a prêché la tranquillité et a remercié la presse. Fauvieau a été acclamé par l’assemblée, qui a voté à l’unanimité la cessation de travail.

J’ai vu aujourd’hui le directeur de la Compagnie d’Anzin. Il assiste à tous les événements avec un calme imperturbable. A son avis, sur grévistes, 9,000 voudraient reprendre leur travail. Le matériel de la Compagnie est en mauvais état, ce qui ne lui permet pas de lutter contre la concurrence étrangère. Les derniers bénéfices de la Compagnie se sont élevés à deux millions. En somme, le directeur est persuadé de la reprise du travail, et les réunions des grévistes le laissent froid.

Emile Zola est arrivé aujourd’hui à Anzin, où il vient étudier le fonctionnement des mines et les mineurs, études qui doivent figurer dans son prochain roman Germinal.

Le romancier a demandé l’autorisation à la Compagnie d’Anzin de visiter les puits.

 

Le Matin du 1er mars 1884

Zola à Anzin

 

Nous sommes en mesure de compléter les renseignements que nous avons donnés hier sur le voyage de M. Emile Zola à Anzin. Il y a un mois environ, l’éminent romancier alla trouver chez lui M. Giard, député du Nord, afin de se procurer sur les mines et les mineurs des renseignements dont il avait besoin pour son prochain roman.

Giard, professeur à la Faculté des sciences de Lille, est enfant de Valenciennes et ultra-radical. Adoré des mineurs d’Anzin, c’est à eux qu’il doit sa récente élection à la Chambre. M. Giard était donc plus que tout autre à même de donner à M. Zola les documents humains qu’il désirait.

Il lui proposa même de l’emmener à Anzin lorsque l’occasion s’en présenterait, et de lui faire visiter les mines. Aussi M. Zola partit-il avec le député samedi soir, lorsque son devoir appela M. Giard sur le lieu de la grève. Afin de pouvoir faciliter la tâche investigatrice de l’auteur de l’Assommoir, M. Giard le présenta comme son secrétaire. Il fut reçu partout et choyé comme tel. M. Giard est rentré à Paris et M. Zola est resté à Anzin, dont le personnel paraît l’intéresser vivement. Il n’est pas encore absolument décidé à écrire son livre. Ce qui l’épouvante, c’est le patois spécial parlé par les ouvriers et qu’il désespère de pouvoir reproduire avec fidélité dans son roman.

 

 

 

LE LIVRE
LE LIVRE

Le Matin de Chamberlain & Co (fondateurs), 1883-1944

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