Hitler chantre de la paix


Paris-Soir, 26 janvier 1936 ; RetroNews BnF

Jeudi 23 février, le pape appelait tous les croyants, chrétiens ou non, à prier pour la paix. En 1936, c’est un autre personnage, moins bien intentionné qui préconisait le pacifisme. A deux reprises en janvier et février, Hitler accorde des entretiens à Paris-Soir. Et alors qu’un mois plus tard, il violera les traités en remilitarisant la rive gauche du Rhin, il n’a, face à des interlocuteurs complaisants, que le mot paix à la bouche. Extraits d’ « Hitler vous parle » à la une du Paris-Soir du 26 janvier.

 

 

Pour la première fois, Adolf Hitler, Führer et chancelier d’Allemagne, accorde à un journaliste français une interview sensationnelle sur toutes les questions politiques et sociales qui intéressent notre pays et le sien. Nous avons reproduit sans commentaire les paroles de M. Hitler qui constituent un document dont l’importance n’échappera pas à nos lecteurs, quelque sentiment qu’ils éprouvent pour le maître de l’Allemagne et sa politique.

Quelle que soit notre opinion politique, la personnalité des hommes qui entrent dans l’histoire de leur peuple et du monde, à la manière de Hitler, éveille en nous une curiosité à laquelle nul n’échappe. Quand je sus que le chancelier de l’Allemagne consentait à me recevoir et à m’accorder une interview, pour les lecteurs de Paris-soir Dimanche, ma joie professionnelle fut tout de suite dominée par ce sentiment : Je vais savoir comment « Il » est ; comment « II » parle, peut-être comprendrai-je la raison de son étrange pouvoir sur les foules et aussi vais-je connaître la précision de sa pensée sur des questions vitales pour nous, Français et Européens !

Le palais de là Wilhelmstrasse où travaille et dort le Führer est d’une sobriété de lignes et d’ameublement qui s’accorde avec la netteté démocratique de l’Allemagne nouvelle : un escalier large et blanc, une galerie, des salons sans encombrement, et enfin le bureau du chef.

Je n’ai pas à attendre longtemps, je suis arrivée à 11 heures moins 5 et, dès 11 heures, je suis annoncée.

La pièce où M. Funk, secrétaire d’Etat, est venu me chercher est meublée de fauteuils modernes et confortables. Dès que je me suis; enfoncée dans l’un d’eux, j’ai songé à l’audience que m’accorda, il y a quelques mois, Mussolini. J’avais attendu l’appel du Duce au milieu de la splendeur des collections et de la dureté de chaises gothiques en bois. Quand j’étais entrée chez le dictateur de l’Italie, il était debout entre sa fenêtre et son bureau, séparé de moi par trente mètres de parquet ciré. Ici, le caractère de la réception est la simplicité.

Hitler s’avance vers moi, la main tendue et je suis frappée par le bleu de ses yeux que la photographie rend bruns. Je pense aussi qu’il est très différent de son image et je le préfère ainsi avec son visage plein d’intelligence et d’énergie qui s’éclaire lorsqu’il parle. En cet instant je comprends la séduction de ce conducteur d’hommes et son pouvoir sur les foules.

Dans le train, cette nuit, car j’ai été appelée télégraphiquement à Berlin, j’ai préparé une douzaine de questions. Quel que soit leur danger, je suis décidée à les poser. D’ailleurs, seules les réponses sont indiscrètes.

Et, dès les premiers mots, je comprends que le Führer ne s’enfermera point dans la réticence des formules diplomatiques, mais parlera avec liberté. Dans la pièce sans écho, ma voix qui prononce des mots allemands, me paraît sans assurance. J’essaye de m’expliquer… de NOUS expliquer :

– Le Français redoute plus que tout la guerre, c’est parce qu’il la craint et la hait qu’il y croit avec facilité. Je voudrais entendre de votre bouche que l’Allemagne base sa politique extérieure sur le pacifisme.

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L’homme, qu’en face de moi je fixe avec intensité, réfléchit une seconde, pas plus :

– Il y a deux sens, au mot pacifisme. Il n’a pas la même valeur en France que chez nous. Nous ne pouvons pas reconnaître un pacifisme qui signifierait un arrêt au droit de vivre.

Il s’arrête un instant pour mieux scander ses mots :

— Pour nous, le pacifisme ne peut s’établir que sur la notion humaine que chaque peuple a le droit de VIVRE. J’ai dit de vivre, non de végéter. Qui veut établir la paix doit connaître, d’abord, le droit des peuples… Ceci dit, il n’y a pas un Allemand qui désire la guerre. La dernière nous a tué deux millions d’hommes, nous a laissé sept millions et demi de mutilés ou malades. Même si nous avions été vainqueurs, aucune victoire ne valait d’être payée ce prix-là !»

Hitler se tait et je songe à la phrase que j’ai entendue à Berlin : « Notre politique, n’est pas conduite par le sentiment, mais par la logique. »

Déjà, la voix du chancelier a repris :

– Quel homme d’Etat, aujourd’hui, pourrait viser une conquête territoriale par le moyen d’une guerre ? Faut-il faire tuer deux millions d’hommes pour conquérir une province de deux millions d’habitants ? Ce serait d’ailleurs, pour nous, sacrifier deux millions d’Allemands purs, d’Allemands en pleine force, d’Allemands d’élite, pour gagner une population mixte qui ne serait pas entièrement allemande. LA LOGIQUE HUMAINE EST CONTRE LA GUERRE TERRITORIALE.

– Je sais la révolte de l’esprit allemand contre le traité de Versailles. Mais en admettant que chacun soit d’accord pour la nécessité d’une révision, comment l’envisager sans léser les intérêts des autres peuples ?

— Le traité de Versailles a traduit deux résultats : 1° Il affirme une victoire TERRITORIALE, 2° Il établît une victoire MORALE. Les questions de territorialité devraient être soumises uniquement aux populations et à leurs nécessités économiques. Mais, du point de vue moral, il est impossible, il est inadmissible de mettre un peuple dans un état d’infériorité permanente et de l’humilier. En 1870, le traité s’était contenté d’une victoire matérielle et territoriale, il avait respecté l’esprit de la France. Toute clause qui diminue la personnalité, d’un peuple crée seulement de l’amertume et de la haine du côté opprimé, de la méfiance de l’autre. L’HOMME A LE DROIT DE VIVRE EN TANT QUE NATION COMME EN TANT QU’INDIVIDU.

– Alors, sur ce point précis du Traité de Versailles, que faire?

– La conscience humaine doit atteindre la justice au-dessus des intérêts et des partis. Chaque peuple a le droit de vivre sur sa terre avec sa religion, son histoire, ses habitudes et ses possibilités économiques. Favoriser les uns au détriment des autres est une absurdité parce que cela rompt l’équilibre humain.

Je vais vous faire une comparaison la loi qui favorise les ouvriers au détriment des paysans est une loi aussi fausse que celle qui protège le paysan contre l’ouvrier. Il ne faut prendre parti ni pour le consommateur, ni pour le commerçant, ni pour l’employeur, ni pour le salarié. Il faut maintenir l’équilibre des intérêts contradictoires de tous.

—En matière économique, nous avons une seule doctrine : c’est qu’il n’y a pas de doctrine. Si l’initiative privée est en défaut, elle doit être remplacée par celle de l’Etat. Les tensions sociales ne se règlent pas chez nous par des grèves ou des lock-out, car un gouvernement qui prend en main les intérêts de tous doit trouver le meilleur moyen d’assurer la paix sociale.

De même, en politique internationale, la paix ne peut naître que de l’équilibre, donc de la justice. Quant aux modalités à trouver pour établir cette paix, elles seront faciles si chacun y met un sentiment humain de compréhension et d’intelligence.

Hitler s’arrête un instant pour me laisser prendre des notes. Quand je relève la tète, je rencontre la force de son regard qui n’est pas une légende. Il me sourit :

– Nous sommes en Allemagne 68 millions d’habitants, 68 millions d’êtres qui demandent amanger, à se vêtir, ase loger, à vivre. Aucun traité au monde ne peut changer cela : l’enfant qui vient au monde pleure pour avoir du lait, il a droit au lait. Un chef d’Etat doit fournir à son peuple ce dont il a besoin. »

– Justement nous touchons une question très grave : la repopulation à outrance telle quelle est prêchée en Allemagne créera l’expansion démographique… donc des guerres… vous vous plaignez de ne pas avoir de pain et vous voulez plus d’hommes ?

Le Führer m’interrompt :

– L’humanité comprend des peuples plus ou moins doués. Parmi ceux que leurs qualités devraient favoriser, il en est dont l’existence matérielle est restreinte, tandis que d’autres, plus primitifs, ont à leur disposition de vastes territoires non exploités. Je place parmi les premiers les peuples européens. A ce point de vue, je pense que nous Européens, nous constituons une famille parfois divisée, mais unie quand même par un intérêt commun.

Je me tais, parce que moi aussi je pense ainsi et que mes voyages m’ont appris le sens du mot EUROPEEN. Par malheur, ce mot européen est encore de l’avenir. Enfermés dans nos nationalismes, il faut songer à aujourd’hui. Je poursuis donc :

—Et c’est à cause de la force démographique de l’Allemagne que vous avez besoin de colonies ?

– Vous ne pensez pas ?

—Comment pouvez-vous atteindre ce but… de manière pratique ?

— Si la conscience des autres peuples admettait cette notion d’équilibre, de justice, les détails matériels seraient peu de chose à régler. Ce qui m’intéresse actuellement, c’est l’éveil dans le monde de l’idée que la bonne volonté des peuples doit créer une collaboration sans arrière-pensée pour la meilleure vie de chacun.

Or, je vous le répète, pour la vie de l’Allemagne, pour la vie de la France, il faut dans le monde, et pour le bien de l’humanité, assurer la prospérité de l’Europe.

[…]

– Puisque nous parlons politique puis-je vous poser encore une question délicate ?Que pensez-vous de l’Anschluss ?

—C’EST UNE CHOSE DONT PERSONNE NE S’OCCUPE NI SE PREOCCUPE ICI. A Vienne on a peut-être besoin d’un spectre pour des raisons de politique intérieure. A Berlin, l’Anschluss n’est pas à l’ordre du jour.

[…]

—Un mot encore : les Jeux Olympiques?

—Nous serons heureux de recevoir des Français, le plus de Français possible. Tout sera mis en œuvre pour leur faire sentir qu’ils sont les bienvenus et que le peuple allemand est, à leur égard, plein de cordialité.

Je souhaite beaucoup que vos touristes ne se cantonnent pas dans les visions sportives : qu’ils visitent le pays, tout le pays. Ici, ils ne trouveront pas de tours organisés par la propagande pour leur dissimuler la vérité. Nous ne leur dirons pas que l’Allemagne est un Paradis, cela n’existe pas sur terre, mais ils pourront circuler en toute liberté et se rendre compte par eux-mêmes que l’Allemagne vit dans le calme, l’ordre et le travail. Ils verront notre redressement, notre effort, notre désir de paix, c’est tout ce que je souhaite.

LE LIVRE
LE LIVRE

Paris-Soir de Eugène Merle, 1923-1943

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