Une idée virale ?


Pourquoi le virus se propage-t-il plus rapidement que les bonnes pratiques telles le respect du confinement et des gestes barrières ?
Tout simplement parce que les idées et les comportements ne sont pas des maladies. Et même si la sociologie de la communication s’est construite en reprenant les schémas des études épidémiologiques, la diffusion d’un virus et celle d’une idée ne se ressemblent pas, assure le sociologue américain Damon Centola dans How Behavior Spreads.

Il reprend le cadre développé par l’anthropologue américain Mark Granovetter qui distingue les liens forts (ceux que l’on développe avec ses proches) et les liens faibles (ceux que l’on entretient avec ses connaissances). Selon Granovetter, les liens faibles sont particulièrement efficaces pour diffuser rapidement une information au sein d’une large population. Son explication rejoint la fameuse théorie des « six degrés de séparation » de l’écrivain hongrois Frigyes Karinthy selon laquelle deux personnes prises au hasard sont reliées en moyenne par une chaine de six relations.

Mais Centola montre que dans un grand nombre de situations les idées et les comportements n’arrivent pas à se propager à travers le « petit monde » des liens faibles. Pour expliquer cette anomalie, il différencie les contagions simples et complexes. Les virus et les rumeurs sont typiquement des contagions simples. Ils voyagent rapidement sur Internet ou par avion et une seule exposition suffit à les transmettre. Une contagion complexe requiert au contraire des contacts multiples venant de sources différentes pour toucher sa cible. Personne n’adhère à un mouvement social, ne change ses habitudes en matière d’hygiène ou de santé, ne réalise un investissement financier lourd en se fondant sur l’avis d’une seule et vague connaissance. Pour diffuser ce type d’idées et de comportements, il faut l’action conjointe de plusieurs liens forts. Ainsi, trois amis souhaitant fonder un parti politique auraient, selon Centola, moins de chance de recruter beaucoup d’adhérents en utilisant leurs liens faibles (sur les réseaux sociaux par exemple) qu’en s’appuyant simplement sur leurs proches.

Centola n’invalide pas pour autant la métaphore de la viralité. Certaines idées se répandent bien comme des virus : les plus simples, celles qui ne requièrent aucun investissement ni discipline, et surtout qui tendent à être nuisibles.

À lire aussi dans Books : La fabrique du conformisme, octobre 2012.

LE LIVRE
LE LIVRE

How Behavior Spreads: The Science of Complex Contagion de Damon Centola, Princeton University Press, 2018

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