Pour le jazz et contre le racisme : le plaidoyer de Boris Vian


On célèbre cette année le centenaire de la naissance Boris Vian, né le 10 mars 1920. L’écrivain et musicien n’a jamais caché ses opinions politiques et notamment sa détestation du racisme, qu’il a notamment dénoncé dans son roman J’irai cracher sur vos tombes.

Il l’a exprimé de manière encore plus directe dans cette chronique publiée dans le journal Combat le 4 février 1948, prenant la défense de ses idoles Louis Armstrong, Duke Ellington et Dizzy Gillespie.

J’apprends que le gouvernement des États-Unis prépare de nouvelles lois contre le lynchage et la discrimination raciale. Il est vrai que la mentalité américaine a fait depuis plusieurs années des progrès certains en ce qui concerne l’épineuse question des « préjugés raciaux ». Il est certain que dans le domaine du jazz, en particulier, de gros efforts ont été accomplis et qu’aujourd’hui on rend fréquemment justice à la valeur des orchestres noirs.

Il n’empêche que l’on aurait tort de croire la question résolue. Que des hommes comme Ellington, Armstrong, Gillespie, aient réussi, des années durant, à se classer en tête des referendums organisés par les revues musicales américaines, et notamment par « Down Beat » prouve surtout l’écrasante supériorité musicale des Ellington, Armstrong et Gillespie sur leurs confrères blancs. Et l’on peut se demander si la décision du referendum de cette année, couronnant Stan Kenton, orchestre blanc de brasserie, devant Duke Ellington est bien motivée par des raisons purement musicales.

Vous êtes sceptiques ! Voilà une petite histoire. Elle se passe aux États-Unis, même pas dans un État du sud, mais à Memphis, cette ville qui, voici quelques années, disputait à la Nouvelle-Orléans, à l’occasion de la sortie du film « Naissance du blues », le titre de « berceau du blues ». Donc, à Memphis, le président du bureau de censure, M Lloyd T. Binford, vient de bannir des écrans de la ville le film « New Orléans » dont la projection lui parut indésirable en raison du rôle trop important qu’y joue Louis Armstrong. Quand on a vu à quel point le pauvre Armstrong est exploité dans ce film, on peut s’etonner.

Mais M. Binford a fait mieux. Tous les passages de films où apparaissent, même à titre d’attractions, les vedettes noires King Cole, Pearl Bailey, Lena Horne etc… ont été tout simplement coupées. La comédie musicale « Annie get your gun » qui pulvérisa les records de recette au Texas, pays réputé pour sa tradition antinoire a été interdite à Memphis en raison de trois rôles nègres de second plan. Enfin, « Curley » où l’on voit des enfants noirs et des enfants blancs jouer ensemble est également proscrit et le train de l’Amitié ne s’arrêtera pas à Memphis, seule grande ville américaine où l’on ait annoncé qu’il y aurait ségrégation entre les visiteurs noirs et les visiteurs blancs.

Comme quoi il n’y a plus de préjugés raciaux aux États-Unis ! Mais cela a-t-il une telle importance, car après tout, comme l’écrit Louis Chauvet dans « Le Figaro », Louis Armstrong n’a sans doute tourné « New Orleans » que pour accroître sa fortune déjà imposante !

 

 

LE LIVRE
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Combat de Bertie Albrecht, 1941-1974

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