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Le jour où Franco prit de l’eau pour de l’essence

Vous n’avez sans doute jamais entendu parler d’Albert von Filek, et pourtant, ce menteur pathologique et séducteur impénitent est l’auteur d’une escroquerie magistrale. Dans Filek, le journaliste et romancier espagnol Ignacio Martínez de Pisón retrace l’itinéraire de cet étrange personnage qui faillit rouler le général Franco dans la farine. « Martínez de Pisón a eu besoin de trois ans d’investigation pour pouvoir écrire un “roman sans fiction”, qui relate dans un style journalistique les entreprises criminelles de cet individu », commente Manuel Morales dans El País.

Originaire d’Autriche, Filek se déplaçait de capitale en capitale au gré de ses petits larcins. il arriva à Madrid en 1931, quelques jours avant la proclamation de la IIe République. Filek décida alors de tenter un grand bluff : il approcha des membres du gouvernement en se targuant d’avoir inventé un procédé révolutionnaire. Il était capable, disait-il, de fabriquer une essence synthétique, en mélangeant de l’eau de la rivière Jarama, des extraits de plantes et quelques ingrédients tenus secrets. Sa manœuvre se solda par un échec, on le soupçonna d’être un espion et il fut jeté en prison.

Durant ses années de réclusion, il fit la connaissance d’hommes qui allaient plus tard être liés au régime franquiste. Une fois libre, et alors que la guerre civile venait de se terminer, Filek fut mis en relation avec le gendre de Franco. Sans se démonter, il lui exposa la recette miracle de son carburant, qu’il baptisa « filekina ». Voyant là l’occasion inespérée de résoudre les problèmes économiques de l’après-guerre, le dictateur et son entourage tombèrent joyeusement dans le panneau. A telle enseigne que la première loi publiée au bulletin officiel prévoyait l’expropriation de certaines terres pour les mettre à la disposition de l’inventeur. En 1941, las d’attendre les résultats des expérimentations de Filek, Franco envoya des ingénieurs des mines tester la filekina. La supercherie fut éventée, et Filek, à nouveau jeté en prison. Pour ne pas se couvrir de ridicule, le régime étouffa l’affaire et extrada l’escroc vers l’Allemagne quelques années plus tard. Là-bas, les stratagèmes de Filek ne lui furent d’aucun secours et il mourut derrière les barreaux en 1952.

 

LE LIVRE
LE LIVRE

Filek: El estafador que engañó a Franco de Ignacio Martínez de Pisón, Seix Barral, 2018

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