La lettre imaginaire de Poutine aux Américains

Au pire moment de la crise diplomatique, pour dissuader Obama de lancer des frappes contre le régime syrien, le président russe se décide à écrire une lettre aux Américains. Une fiction de Jean-Baptiste Naudet, grand reporter au Nouvel Observateur, en complément de notre article consacré aux attentats de Moscou de 1999.

Putain ! Fait chier cette lettre de merde à ces connards d’Américains. Je sais pas quoi pondre, moi. Encore une idée à la con de mes innombrables ministres et autre conseillers. Mais bon, pour une fois, ça coûte pas cher. Et c’est vrai que je suis dans la merde en Syrie. Faut faire quelque chose. Fait chier aussi ce connard de Bachar el-Assad à balancer des gaz toxiques sur des civils. Enfin ce ne sont que des Arabes. Des gaz qu’on avait filés à Hafez el-Assad, son père. Des gaz qu’ils n’ont jamais payés en plus, ces arnaqueurs.

Au Kremlin, 21 heures

Je comprends bien qu’Assad ne veuille pas perdre le pouvoir. Il a commis presque autant de saloperies que moi. Et il a peur de se faire couper les couilles. C’est humain. Mais comment veut-il que je le soutienne sans encore passer pour un salaud ? Je ne peux pas le lâcher. Sur l’échiquier du Proche-Moyen Orient, ce dingue d’Assad est mon fou. Et si je le perds, je n’en ai plus qu’un, de fou, ces tordus d’Iraniens qui risquent de tout faire péter le jour où ils auront la bombe. Heureusement que ce bronzé d’Obama est meilleur au basket qu’aux échecs. Et il a osé me traiter d’âne, de crétin [« jackass », note du traducteur] en public. Il veut faire quoi avec ses frappes de missiles Tomahawks ? Marquer un panier dans le bunker d’Assad à Damas?

Bon, pour la lettre d’embrouille, l’idée générale : je vais agiter des menaces, jouer sur la peur tout en faisant appel aux grands principes et aux sentiments, en distordant un peu la vérité, comme d’habitude. Ces bouffeurs de hamburgers adorent les grands principes et ils ne sont au courant de rien. Ils vont tout avaler. Une lettre à la poste ! Fait quand même chier cette lettre ! Fait chier Obama ! Comme si j’avais que ça à foutre.

J’aimerais bien rentrer à la datcha, moi. J’aimerais bien me taper Alina. Imaginez donc, une championne olympique de gymnastique, ce que ça peut donner au pieu ! Ca, c’est de la maitresse les gars ! Elle est jeune, jolie et bien gaulée, on a trente ans d’écart. Je suis vraiment un vieux cochon libidineux. Mais pas pire que la plupart des fils de salauds qui m’entourent et, soit disant, me soutiennent. Mais qui ne pensent qu’au pouvoir, au fric et au sexe. Ca m’arrange bien qu’ils soient comme ça. Je les fais filmer en caméra cachée par mes services pendant qu’ils se tapent des gonzesses (que j’ai fait payer !). À poil bourrés dans leurs saunas ! De super « kompromats ». Ca les calme sérieux.

Les autres, les « opposants », comme cette pédale de milliardaire de Khodorkovski, qui ne sautait que sa femme, le con, et qui, en plus, voulait que je lutte pour de vrai contre la corruption ou encore comme cette tapette de Navalny, le prétendu « leader de l’opposition démocratique », je les mate. Je te les colle au trou en Sibérie ou dans le Grand Nord avec une condamnation pour fraudes ou détournements. De toute façon, avec les lois absurdes que j’ai fait adopter, tout ceux qui veulent s’en sortir, faire quelque chose, sont obligés de magouiller, alors ça passe. Et coup de bol, ce Khodorkovski est juif, et comme chez nous pas grand monde ne les aime… Pour ce Navalny, il faut que je fasse gaffe. J’ai fait condamner ce champion de la lutte anti-corruption à cinq ans (pour fraudes !) pour le discréditer, mais j’hésite à trop le faire plonger en appel. Il est ni juif ni riche. Et ces veaux de Russes (voilà que j’imite de Gaulle maintenant !) aiment bien les « victimes ».

À propos de sexe et de fric, j’ai peur que Ludmila me tonde. Classiquement mais comme un abruti, j’ai fait mettre au nom de ma femme la plupart de ce que j’ai détourné (aucune idée de combien d’ailleurs mais sûrement quelques milliards de dollars, ça suffira) [1]. Cette chienne de Ludmila a demandé le divorce et j’ai bien été obligé d’accepter. Elle a les moyens de me faire chanter. Et je ne peux quand même pas la faire buter comme un vulgaire gêneur) [2]. Elle savait pour Alina. Toute la Russie était au courant depuis qu’un journaliste avait bavé. On a vite fait fermer son journal mais c’était une connerie. Du coup, tout le monde a compris que l’histoire était sans doute vraie [3]. Pas facile d’avoir une presse avec des allures « libres » sans avoir ce genre de dérapages, surtout qu’il y a toujours des fuites à cause des bastons pour le fric et le pouvoir. D’ailleurs, à chaque fois que j’essaye d’être sympa, de négocier, il y a des généraux au savoir-faire limité et expéditif ou des têtes dures dans mes services, qui croient qu’on est encore une grande puissance, qui me montent un coup tordu pour me ramener dans le droit chemin [4].

Et du coup, c’est encore moi qui passe pour un salaud. Quel boulot, putain ! Pas une super idée non plus de faire élire cette trop jeune Alina à la Douma, la seule vraie chambre de mon Parlement. Du coup, tout le monde a compris pour elle et moi. Mais j’emmerde tout le monde, j’ai les moyens. Ca la fout mal quand même, ce divorce, pour un mec comme moi qui vante officiellement le modèle de la famille orthodoxe unie, face à ces dégénérés d’Occidentaux.

Merde, j’ai complètement dérivé ! Il faut que je me grouille pour cette lettre, faut que je termine avant minuit, sinon, quand je vais arriver à la Datcha, Alina pioncera et ce sera encore râpé pour ce soir.

22 heures

Bon, cette lettre à la con à publier dans la presse vraiment libre (encore très drôle !), il faut que m’y colle. C’est quand même une bonne idée de jouer sur la faiblesse de l’adversaire, la presse libre, l’opinion publique. Une bonne prise de judo, je reste un champion dans ce sport. Alors je commence par quoi ? Je vais dire un truc vrai au début, ça aidera à faire gober le reste :

« Les récents événements autour de la Syrie m’ont incité à parler directement au peuple américain et à ses dirigeants politiques. Il est important d’agir ainsi à une époque où la communication entre nos sociétés est déficiente. »

Incontestable : j’écris que je leur écris ! Et après ? Leur foutre les jetons d’entrée en parlant du risque de « dévastation » s’ils ne m’écoutent pas. Mais sans qu’ils s’aperçoivent que je les menace. J’y vais :

« Nos relations sont passées par plusieurs étapes. Nous nous confrontions pendant la guerre froide. Mais nous avions été alliés pour nous défendre ensemble contre les nazis. L’organisation universelle des Nations unies a alors été fondée pour éviter qu’une telle dévastation surgisse à nouveau. »

J’enchaîne avec un gros mensonge :

« Les fondateurs de l’ONU avaient compris que les décisions sur la guerre et la paix devaient être prises par consensus uniquement et le veto des membres permanents du Conseil de Sécurité fut introduit avec l’accord des Américains dans la Charte des Nations Unies. Cette grande sagesse a permis de stabiliser les relations internationales pendant des dizaines d’années. »

Évidemment, ce n’est pas les Nations unies qui ont permis d’éviter que la guerre froide ne devienne très chaude (à l’ONU, on bloquait déjà tout !) mais l’équilibre de la terreur des armes nucléaires. Mais qui sait ça à part quelques spécialistes dont je suis, moi, un ex-colonel du KGB ? Bon, je leur fous encore les chocottes :

« La frappe éventuelle des États-Unis contre la Syrie (…) aura pour résultat d’accroître le nombre de victimes innocentes et l’escalade qui peut étendre le conflit bien au-delà des frontières syriennes. Une telle frappe augmenterait la violence et déchainerait une nouvelle vague de terrorisme. Cela peut détruire les efforts multilatéraux pour résoudre le problème nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien et déstabiliser un peu plus le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Cela pourrait déséquilibrer le système entier du droit et de l’ordre international. »

Si avec ça, ces poules mouillées ne font pas dans leurs bens ! D’accord ce n’est sans doute pas vrai. Si les frappes américaines calment ce malade d’Assad ou le font dégager, il y aura sans doute moins de morts, moins de risques que le conflit ne s’étende. Je serai alors obligé de m’écraser et de continuer à coopérer, comme avec le coup de la Serbie où les Ricains m’ont dégagé mon psychopathe de Milosevic. J’en rajoute une louche pour les faire vraiment flipper :

« On n’assiste pas en Syrie à une bataille pour ou contre la démocratie mais à une guerre civile entre le gouvernement et l’opposition dans un pays multi-religieux. Il y a peu de militants de la démocratie en Syrie. Mais il y a pléthore de combattants d’Al-Qaïda et d’extrémistes de tout poil combattant le gouvernement. (…) La guerre civile, alimentée par les armes étrangères livrées à l’opposition, est une des plus sanglantes au monde. Les mercenaires des pays arabes qui combattent là et les centaines de djihadistes qui viennent des pays occidentaux, et même de Russie, sont une vraie préoccupation pour nous. Ne risquent-ils pas de revenir dans nos pays avec l’expérience acquise en Syrie ? »

Vraiment bien, ça. Tout le monde a oublié que la guerre a commencé par une lutte pacifique pour leur démocratie de merde. Et ils ont tous une trouille bleue des islamos depuis le 11 Septembre. Mais le plus drôle, c’est que c’est quand même moi qui ai conseillé à ce crétin d’Assad de pourrir le conflit en libérant les islamistes des prisons puis en les soutenant en sous-main. Ca discrédite l’opposition. Ils finissent par se battre entre eux et alors on peut écraser tout le monde sans que personne ne moufte.

C’est ce coup de génie que j’ai joué en Tchétchénie. Pas super « clean », comme ils disent à Washington, mais efficace. Pas mal aussi de dénoncer le bain de sang à cause des livraisons d’armes étrangères à l’opposition, même si c’est sans doute moi qui donne le plus d’armes meurtrières, mais au régime ! Qu’est ce que je peux dire après ? Idée ! Je vais me poser en faiseur de paix et en défenseur du droit. Ils aiment ça, la paix et le respect des lois, ces formalistes d’Américains :

« Dès le début, la Russie a poussé au dialogue pacifique pour permettre aux Syriens d’établir un plan de compromis pour leur propre avenir. Nous ne sommes pas en train de protéger le gouvernement syrien mais le droit international. Nous avons besoin d’utiliser le Conseil de Sécurité des Nations unies et nous croyons que préserver la loi et l’ordre dans notre actuel monde complexe et turbulent est un des rares moyens d’empêcher les relations internationales de tomber dans le chaos. La loi est la loi et nous devons la suivre, qu’elle nous plaise ou non. Selon la loi internationale en vigueur, la force n’est autorisée qu’en cas d’auto-défense ou par décision du Conseil de Sécurité. Toute autre chose n’est pas autorisée par la Charte des Nations unies et constituerait un acte d’agression. »

Excellent ! Non seulement, je n’ai jamais vraiment fait pression sur cette tête de pioche d’Assad pour qu’il accepte une solution politique pacifique, mais le droit international, je m’assois grave dessus quand ça m’arrange. Le coup de la Géorgie en 2008, superbe ! Mes troupes sont entrées dans le pays officiellement pour défendre les droits de la minorité ossète. Moi, défendre les « droits de l’homme », très drôle ! Avec leur finesse habituelle, mes gars ont donné une bonne leçon à cet excité géorgien de Saakachvili qui voulait faire entrer dans l’OTAN son pays (à nos frontières ! Et pourquoi pas des Marines pour garder le Kremlin, non plus ?!?). En plus, j’ai réussi à faire croire que c’était de sa faute, à cet allumé, en le faisant tomber dans un piège grossier. J’aurais peut-être pas dû reconnaître récemment que j’avais préparé la guerre [5]. Mais je peux m’offrir ce luxe. Qui a remarqué, qui a gueulé d’ailleurs ? Ah ! Ah !

Super marrant aussi, ce petit président français avec son plan de paix pour la Géorgie. Comment il s’appelait déjà ? Sarko quelque chose, plus minus que moi et juif et hongrois, en plus. Il est persuadé qu’il a aidé à faire la paix dans le Caucase alors que grâce à son plan (sur lequel je m’assois, bien sûr) j’ai bien consolidé mes positions. J’ai même bien enc… [censuré par le traducteur] tout le monde en reconnaissant l’indépendance des Ossètes, superbe violation des frontières de la Géorgie et du droit international. Bon le nouveau franzouz, ce Hollande, il fait chier. Ces cons de journalistes écrivent que c’est un mou et voilà qu’il se prend pour Churchill. Je vais le mater. Je vais foutre un peu la merde en Europe, en Ukraine, en Moldavie, en Bulgarie, etc. partout où j’ai encore de solides ficelles à tirer. Et pour leur prochain contrat de gaz, ils vont voir ces francaouis.

C’est vrai, j’ai fait pire que la Géorgie et la Syrie, bien sûr. Mon meilleur coup, c’est quand même d’avoir réussi à faire avaler que les meurtriers attentats organisés en Russie par mes propres services pour lancer la guerre en Tchétchénie étaient l’œuvre de ces bouseux du Caucase. Pas le choix. Sans les attentats, pas de justification à la guerre ; sans la guerre, pas de vague nationaliste. Ca m’a permis de me faire élire triomphalement alors que j’étais super mal barré. Comme d’hab, il y a eu des merdouillages. Cet agent de mes services, Litvinenko, qui s’est réfugié à Londres et qui balançait tout sur cette super manip, un peu limite, j’avoue. Empoisonné au polonium en mangeant un sushi. Ce qui était encore une connerie de mes services : tout le monde sait que cette substance radioactive provient de nos labos secrets. Enfin, ça fait toujours un exemple.

23 heures

Je m’éloigne encore. Et Alina qui m’attend. Faut que je termine vite fait, sans faire trop long. Qui s’intéresse à l’incidence du sort des Ossètes sur l’avenir du monde, aux conséquences du véto russe à l’ONU sur sa tranquillité personnelle? Vite, un gros mensonge, plus une jolie menace contre les Israéliens, qu’ils aiment bien, les Amerloques :

« Personne ne doute qu’on ait utilisé des gaz empoisonnés en Syrie. Mais on a toutes les raisons de croire qu’ils n’ont pas été utilisés par l’Armée syrienne mais par les forces de l’opposition, pour provoquer l’intervention de leurs puissants parrains [super ; le mot « parrains »!] étrangers, qui seraient du même côté que les fondamentalistes. Les sources [intox de mes services !] selon lesquelles des djihadistes prépareraient une autre attaque, cette fois contre Israël, ne peuvent être ignorées. »

Tout ceux qui sont bien informés, ils sont rares, savent qu’il y a beaucoup plus de raisons de croire que les gaz, c’est un coup de ce malade d’Assad. Il adore la politique du pire. Mais grâce à la désinformation de mes services, on a bien réussi à semer la confusion, une fois encore. Maintenant, je joue sur le sentiment isolationniste américain, ça marche toujours, sur le rejet des guerres désastreuses d’Afghanistan et d’Irak :

« C’est inquiétant que l’intervention militaire dans les conflits intérieurs des pays étrangers soit devenue une banalité pour les États-Unis. Est-ce l’intérêt à long terme de l’Amérique ? J’en doute. (…) Mais la force a montré qu’elle est vaine et inefficace. L’Afghanistan est laissé à lui-même et personne ne sait ce qui va se passer lors du retrait des forces internationales. La Libye est divisée entre ses tribus et ses clans. En Irak, la guerre civile continue avec des douzaines de morts chaque jour. Aux États-Unis, beaucoup établissent une analogie entre l’Irak et la Syrie et se demandent pourquoi leur gouvernement voudrait répéter les erreurs du passé. »

23 h 30

Je passe bien sûr sous silence que les frappes aériennes américaines, contre notre volonté, ont ramené la paix dans les Balkans et ont évité que mon dingue de Milosevic égorge tout le monde et foute le feu à la région. On a bien essayé de faire croire qu’il fallait rien faire car les Balkans sont une « poudrière » (les clichés, rien de tel !). Ca n’a pas marché mais on retente le coup de la « poudrière » pour Assad et le Proche-Moyen Orient. Je les fais aussi flipper sur la Libye où c’est la merde même si c’est sans doute toujours mieux que sous la dictature de notre vieux copain, cet illuminé de Kadhafi. Je passe aussi sous silence qu’on était quand même assez d’accord pour l’intervention en Libye et pour l’Afghanistan. Pour que les Américains se retrouvent enfoncés dans la merde comme on l’a été dans ce pays des aigles et de dingues ! Bon, faut que je refasse dans l’humain.

« Quels que soient les objectifs et la sophistication des armes, on n’évitera pas les victimes civiles, y compris les vieillards et les enfants, que les frappes sont censées protéger. »

Quel cynique je suis ! C’est vrai que si les frappes aériennes américaines vont faire quelques victimes civiles, il y en aura peut-être moins que si Assad ne se calme pas et se bat jusqu’au dernier Syrien. Et ces salauds d’Américains ont vraiment des missiles très précis. Pas comme moi qui ait écrasé la Tchétchénie sous les bombes pour la « libérer du terrorisme ». Près de 100 000 morts pour moins d’un million d’habitants. Pas mal. Dont beaucoup de Russes, d’ailleurs, qui habitaient chez ces culs noirs et les aimaient bien en plus. Bien fait pour leurs gueules. Bon, on s’en fout, qui a vu ça ? Qui contrôle les médias ici à la fin ?!? Après l’humain, un petit coup de géopolitique.

« Le monde réagit en se posant la question : si vous ne pouvez pas compter sur le droit international, il faut trouver d’autres moyens d’assurer sa propre sécurité. Ainsi, de plus en plus de pays cherchent à acquérir des armes de destruction massive. C’est logique : si vous avez la bombe atomique, personne ne vous attaquera. Il nous reste à faire des discours sur la nécessité de la non-prolifération quand, en réalité, elle est grignotée. »

23 h 45

Ca, c’est hyper compliqué et pas totalement faux. Car les Américains ont merdé en laissant le Pakistan et l’Inde construire la Bombe et aussi ces dingos de Coréens du Nord. Sauf que si, maintenant, on menace d’employer la force pour en empêcher d’autres, comme ces tordus d’Iraniens, de construire la Bombe, le monde sera sans doute plus sûr. Si, par exemple, on aidait les Occidentaux à éviter que les Iraniens ne déconnent trop, au lieu de jouer avec le feu, ça serait plus stable. Mais on risque de perdre encore un allié.

Et puis c’est tellement drôle de jouer au bord du gouffre avec ces « Occidentaux » qui n’ont pas les nerfs très solides. Les « Occidentaux » qu’ils s’appellent. Comme si nous, on était des "Orientaux", des niakoués, parce qu’on a été occupés pendant près de quatre siècles par les Mongols ! Faut que je speede (voilà que je parle anglais maintenant !) sinon cette nuit, ça va être ceinture. Allez un petit coup de pacifisme, ça a bien marché du temps de l’Union soviétique :

« Nous devons donc cesser d’utiliser le langage de la force et revenir sur le chemin du règlement des problèmes de façon civilisée, diplomatique et politique. »

J’adore quand j’ose dire qu’il ne faut pas employer « le langage de la force », c’est tout à fait moi ! Un peu de baratin sur les négociations pour montrer que je suis un gentil et que si on se met d’accord avec moi, on va éviter la « dévastation » et vivre dans le bonheur :

« Une nouvelle chance d’éviter l’action militaire est apparue ces derniers jours. (...) Si nous pouvons éviter l’usage de la force contre la Syrie, cela va améliorer l’atmosphère des affaires internationales et renforcer la confiance mutuelle. Cela sera notre succès commun et ouvrira la porte à la coopération sur d’autres questions difficiles. »

Merde, minuit ! Fait chier, Alina ! Font chier ces sportives qui se couchent tôt. Vite, le bouquet final :

« Mon travail et mes relations personnelles avec le président Obama sont marqués par une confiance de plus en plus grande. (…) Je suis en désaccord avec son insistance sur l’exception américaine, affirmant que la politique des États-Unis est “ce qui fait l’Amérique différente. C’est ce qui fait de nous une exception”. C’est extrêmement dangereux d’encourager les gens à se considérer eux-mêmes comme exceptionnels, quelque soient les motifs. (…) Nous sommes tous différents mais lorsque nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux. »

Là, je fais fort, le coup de Dieu. Ces crétins d’Américains y croient à mort. Et tout le monde pense que moi, l’ex-officier du KGB, l’ancien membre du Parti communiste soviétique, je me suis mis à y croire aussi, du jour au lendemain, avec toutes les messes que je me tape. Ludmila ne voulait plus y aller, ça faisait désordre, obligé de divorcer. Je devrais peut-être pas leur faire une leçon sur « l’exceptionnalisme » mais là je craque, il est tard et ils me gonflent. J’y vais quand même mollo en disant qu’on est tous égaux. Je peux quand même pas leur dire que c’est nous, les « exceptionnels », nous Moscou, la « troisième Rome ». Ces ignorants ne savent même pas où c’est Moscou. Je ne peux pas leur raconter tous nos coups de génie, nos manips tellement c’est tordu et dégueulasse.

Mais c’est quand même vrai qu’ils sont forts les Yankees. Demain je convoque tous mes conseillers, mes ministres pour leur demander pourquoi ce sont les Américains et pas nous la première puissance du monde. Ca va gueuler. Shit ! Une heure du matin. C’est beaucoup trop long. Chier.

Heureusement que je ne suis pas un des petits journalistes à la con, un de ces fouineurs de poubelles qui tentent de démasquer mes magouilles. Le New York Times ne va pas pouvoir me couper. Je les déteste, ces scribouillards. Je me souviens encore d’avoir bien maté un de ces connards qui me posait encore une question sur la Tchétchénie. Je lui ai répondu que, s’il aimait tant les musulmans, « d’aller se faire circoncire ». En pleine conférence de presse ! Putain, j’assure grave, quel culot !

Et voilà que je repars en vrille. Je vais me coucher. Mais pour ce soir, trop tard, c’est baisé, si je peux dire. Putain ! Merde ! Fait chier des fois cette politique internationale à la con, fait chier cette « troisième Rome »! Alina, t’endors pas !

(« Traduit » par Jean-Baptiste Naudet)
Spécialiste de la Russie, Jean-Baptiste Naudet est journaliste au Nouvel Observateur.

[1] « Poutine, l’homme le plus riche de la terre ? » (Agence Bloomberg, en anglais.) 

[2] En Russie, même des personnalités très connues mais considérées comme « d’opposition », comme la journaliste Ana Politkovskaïa ou la défenseure des droits de l’homme Natalia Estemirova, ont été assassinées. Les commanditaires de ces meurtres restent "introuvables" mais semblent protégés et liés aux plus hautes sphères du pouvoir.

[3] En 2008, le journal russe Moskovski Korrespondent écrit que Vladimir Poutine (61 ans aujourd’hui) voudrait épouser en second mariage sa maitresse, Alina Kabaeva (30 ans aujourd’hui). Poutine et la jeune gymnaste ont démenti. Le tabloïd fut suspendu pendant trois mois pour avoir diffusé cette information, avant d’être définitivement fermé en octobre 2008.

[4] En 2002, au moment où Vladimir Poutine avait lancé des négociations, qu’il tentait de garder secrètes, avec les Tchétchènes pour trouver une solution politique à la guerre, un commando d’« islamistes » tchétchènes, très vraisemblablement infiltré et manipulé par la frange la plus dure des services secrets et de l’armée russes, a pris des centaines de personnes en otage dans le théâtre de la Doubrovka à Moscou. Ce drame – des dizaines d’otages sont morts à cause de l’assaut – a fait échoué les pourparlers. (« Le Nouvel Observateur » du 22 novembre 2002). Autre exemple : lorsqu’après le choc des attentats du 11 septembre 2001, Poutine a tenté de relancer les relations avec les États-Unis, les plus durs des « hommes à épaulettes » s’y sont brutalement opposés.

[5] En août 2012, Vladimir Poutine a reconnu que la guerre contre la Géorgie d’août 2008 avait été planifiée par l’état-major russe presque deux ans avant les événements. « Il y avait un plan, ce n’est pas un secret… C’est dans le cadre de ce plan qu’a agi la Russie. Il a été préparé par l’état-major général, fin 2006 ou début 2007. Il a été approuvé par moi et convenu avec moi », a affirmé à la télévision le président russe, déjà aux manettes à l’époque, en tant que premier ministre. Jusqu’alors, Moscou avait toujours prétendu que son offensive militaire n’avait été qu’une réponse à une attaque surprise de Tbilissi contre sa région séparatiste d’Ossétie du Sud.
 

LE LIVRE
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Les attentats de Moscou de septembre 1999 de La lettre imaginaire de Poutine aux Américains, Ibidem Verlag

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